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...L'image ci-après évoque cet état autistique de l'univers, les sphères blanches, liées à chaque des particule, représentant les volumes dans lesquelles une voisine devrait se situer pour que la communication soit possible. Las, elle se s'interpénètrent pas, et ne le feront que beaucoup plus tard.
...Il devient donc difficile de justifier la remarquable homogénéité de l'univers primitif, dont la trace fossile est le fond de de rayonnement cosmologique à 2,7° K.
...La théorie en vogue est celle de Linde : l'inflation, et c'est sa seule justification. Sans entrer dans le détail, cette théorie consister à doter l'univers primitif d'une super-constante cosmologique (dépendant du temps !), traduisant un "pouvoir répulsif du vide" défiant toute imagination. Celui-ci entraîne alors une expansion d'un facteur dix puissance je ne sais combien....
Le problème de l'origine.
Qu'est-ce, au fait, que ce temps t = 0 ? Cela a-t-il un sens ?
...Lorsqu'on remonte dans le temps, la température du "fluide cosmique" croît. La vitesse d'agitation thermique des particules dotées d'une masse non nulle croît aussi. Il arrive un moment où cette vitesse devient relativiste. En fait, quand t tend vers zéro et que la température T tend vers l'infini, l'énergie individuelle des particules tend vers l'infini et leur vitesse tend vers c. Le temps propre suit la loi :
...Quand v tend vers c le temps propre "gèle dans les chronomètres". Définir une horloge devient problématique, même conceptuellement.
...On voit donc que le modèle standard est loin d'être parfait. La liste des problèmes évoqués n'est d'ailleurs pas exhaustive. La physique fondamentale connaît des problèmes semblables. La théorie des supercordes passe par une extension du contexte dimensionnel (dix dimensions, pour beaucoup). Mais la géométrie décadimensionnelle reste une jungle obscure. Si les surfaces 2d ont perdu leur mystère, la classification des hypersurfaces 3 et 4d reste encore à faire.
....Par ailleurs, quand on ajoute des dimensions au cosmos, apparaissent des longueurs caractéristiques, associées à chacune d'entre elles. Et celles-ci sont invariablement... la longueur de Planck. Or qui dit longueur dit longueur d'onde, laquelle est liée à l'énergie, selon la relation :
...L'énergie de Planck est considérable. Pour la mettre en œuvre, selon les techniques classiques, il faudrait pouvoir disposer d'un accélérateur ayant le diamètre d'une galaxie. Les physiciens expérimentateurs lèvent les bras au ciel.
...Le
physicien théoricien d'origine japonaise, Michio Kaku ("Hyperspace,
a scientific odyssey through the 10th dimension", Oxford University Press,
1995), avance une interprétation personnelle savoureuse : selon lui,
la théorie des supercordes serait simplement en avance sur son temps
de quelques siècles. Au stade actuel de la technique cela ne serait
donc qu'une façon de se distraire entre amis.
Le colloque d'Aspen.
...En 1996 la célèbre revue Scientific American publiait un compte rendu d'un colloque sur les supercordes qui venait de se tenir à Aspen, Colorado, sous plume de Madhusree Mukerjee, staff writer. Un texte digne des Marx Brothers :
...Comme rappelé par l'auteur de l'article, on avait demandé en 1986 à Jeffrey A.Harvey, de l'Université de Chicago, de définir la théorie des supercordes en sept mots. Sa réponse avait alors été :
- Oh, Lord, why have you forsaken me ? (Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?)
Mais le papier indique que Dieu semble avoir répondu, à travers la découverte d'une nouvelle symétrie : la dualité.
...Witten, le plus optimiste des superstring men, pense que cette dualité va non seulement conduire à la TOE (The theory of everything : la Théorie du Tout) mais aussi expliquer "pourquoi l'univers est fait ainsi". Il pense qu'on converge vers une explication de la nature profonde de la mécanique quantique.
...Peu de gens s'attaquent en fait à cette théorie des supercordes, qui est en effet si compliquée sur tous les plans, y compris mathématiquemennt, que les physiciens et les mathématiciens répugnent à s'y plonger.
...L'article indique que cette "dualité" rendrait les particules élémentaires et les objets composites interchangeables. Les spécialistes évoquent alors des clumps (massifs, bouquets, touffes) qu'ils tentent de visualiser comme des "hedgehogs" (des hérissons). To curl like a hedge-hog : se peletonner en round. Autre images : celles de "sphères cloutées par des vecteurs", baptisées "solitons".
...Mais cette dualité, si elle existait, resterait, précisent les auteurs de ce concept, impossible à mettre en évidence (par dualité il faut entendre "double nature" : dictionnaire anglais). Dans l'article on précise donc que des des structures composites pourraient être équivalentes en étant "tangled up" (embrouilllées, entremêmées) et devenir alors des "objets élémentaires".
Le concept de "mirror symmetry" est ensuite agité, sans grand succès.
...En 1986 Duff, de l'Imperial College de Londres, avait envisagé les vibrations d'une nouvelle entité, "a bubble" (une bulle). Alors que les cordes se tortillaient (wiggle) dans dix dimensions, les bubbles flotteraient dans un espace à onze dimensions. Puis Duff envisagea des membranes à "cinq dimensions", descriptions alternative, vis-à-vis des cordes. Il envisagea ensuite que ces membranes puissent à leur tour s'enrouler comme "la peau d'une saucisse". Et d'évoquer une "string-string duality".
...En 1995 Witten fit une conférence à Berkeley en conjecturant que les bubbles de Duff pourraient être les solitons d'une corde particulière correspondant aux dix dimensions.
Et Schwarz, du Caltech, (un des pionniers de la théorie) d'ajouter :
- J'aurais du être conducteur de camion !
Quoiqu'il en soit, actuellement, dix nouveaux papiers sur les supercordes paraissent chaque jour.
Un soliton "ressemble à une chenille poilue", hérissée de vecteurs, c'est donc "l'objet dual de la corde".
Duff a ensuite proposé une dualité de la dualité, entre des espaces. Et Susskind de commenter :
La taille et la dimension interne d'un objet changerait "de place en place".
Townsend :
- Les membranes, se transformant en solitons de cordes, pourraient avoir le même statut que les cordes. Malheureusement les calculs faits avec les membranes n'ont pas sens.
...On évoque alors un mariage entre les cordes et les trous noirs. Hawking avait indiqué que les trous noirs, étant capables d'émettre des particules, perdraient ainsi de la masse et se rétréciraient. S'ils étaient initialement faits de cordes ("stringy black holes") leur évolution les transformerait en objets de taille nulle : "an extremal black hole looking in fact rather like a particle". Polémique entre Susskind et Strominger, sur ce point :
- Le travail de Strominger est "great", mais appeler ces choses des trous noirs, c'est quand même pousser un peu.
A titre indicatif, le titre du dernier papier de Strominger s'intitule :"Le monde conçu comme un hologramme".
Celui-ci évoque alors le concept de "trou noir de masse nulle".
Jeffrey A.Harvey, de l'université de Chicago, proteste aussitôt :
- What does it mean that your black holes with zero mass ? Do they move at the speed of the light ? (qu'est-ce que ça veut dire, tes trous noirs à masse nulle ? Est-ce que ça veut dire qu'ils vont à la vitesse de la lumière ?)
Gary T.Horowitz, de l'Université de Californie :
- Oh, baloney! (quelle foutaise !)
Un peu plus loin on lit que les cordes "pouraient se configurer en fonction de leur environnement", adoptant une solution dynamiquement correcte (...). Et Strominger d'ajouter :
- Quelque part dans l'univers pourraient exister des portions d'espace en forme de goutelettes, dans lesquelles les trous noirs, en y pénétrant, se transformeraient en cordes, et vice-versa. Dans notre environnement ces goutellettes pourraient sembler naviguer dans des univers virtuels, lequels existeraient pendant un laps de temps infinitésmal, vu qu'ils disparaîtraient aussitôt, avant qu'on puisse les observer.
...Mais plus personne ne semble croire que "la solution soit au coin de la rue", en dépit de l'affirmation de Witten, qui avait parié un cornet de glace que la théorie serait mûre d'ici la fin du siècle.
Et t'Hoff de répliquer avec acidité :
- Quand les gens des cordes font le point, ils ont toujours tendance à gonfler leurs résultats. Ils croient simplement aveuglément à leur théorie.
Dans cette arène des supercordes, se cotoient les jeunes et les moins jeunes.
Sidney R.Coleman, de Harvard :
- At my age you tend to emit a lot of gas. I'd rather not (a mon âge, on a tendance à émettre beaucoup de vent. Je préfère me taire.).
Sheldon L.Glashow convient que "rien n'a bougé dans cette théorie" :
Fin du colloque. La nuit tombe, dit l'auteur de l'article, et Susskind de lâcher :
- I personnaly think it's a lot of crap ! (je pense personnellement que c'est un tas de merde !)
En dépit de cette crise certains pensent que tout finira par s'arranger. La matière sombre sera détectée. La théorie du Tout (the theory of everything) finira par émerger, sur fond de supercordes décadimensionelles.
...En
attendant cette époque bénie, cet âge d'or de la connaissance,
les développements théoriques qui vont suivre ne sont, somme
toute, ni meilleurs ni pires que tout ce qui a trait à la matière
sombre et aux supercordes.
Avant d'attaquer la présentation de nos travaux, un compte-rendu d'une discussion avec J.M.Souriau (4/1/98).
(peut-être un début d'explication de la situation actuelle).
- Tu penses qu'on vit une période de stagnation, en physique fondamentale ?
- Depuis les années cinquante, Feynmann et l'électrodynamique quantique, c'est l'étale. L'électrodynamique quantique, ça marche, mais à dire vrai on ne sait pas très bien pourquoi. Cela reste à trouver. A part ça on n'a rien trouvé de vraiment marquant.
- Mais est-ce que le monde des sciences a connu des périodes de stagnation du fondamental, du même genre. Au siècle dernier ?
- Il semble y avoir une sorte d'alternance de bonds en avant, dans le domaine fondamental et dans l'exploitation technologique, comme si les gens ne pouvaient pas faire les deux à la fois. L'invention du métier Jacquard (1752-1834), par exemple, traduit un relais mécanisé entre le travail manuel et la production des objets (c'est aussi le début.... de l'informatique). En Physique, en 1788, tu as la Mécanique Analytique de Lagrange. Au tournant du siècle Navier invente la mécanique des fluides, Fourier, la théorie de la chaleur, l'analyse harmonique, Fresnel fait progresser l'optique fondamentale.
Entre 1815 et, disons, 1870, c'est une période techno. Machine à vapeur, donc mise en mouvement des machines par une énergie chimique et non plus humaine ou animale. Il y a aussi l'électricité. Gramme invente la dynamo en 1845. Jules Vernes, vers 1870, se fait le chantre de ces applications technologiques. Il y a aussi le développement de la chimie, du chemin de fer, du téléphone, la production électrique de lumière. Mais entre 1815 et 1870 c'est plutôt une époque d'applications technologiques.
- Et quand est-ce que ça repart ?
- Vers 1870 c'est la naissance de la cristallographie et le début de la théorie atomique, qui fait figure, à cette époque, d'hypothèse spéculative. Il y a aussi Maxwell.
- Et les groupes ?
- Les groupes naissent avec la cristallographie. Sophus Lie, Klein, c'est vers 1870. Le point de départ de la théorie des groupes, c'est la cristallographie. Au tournant du siècle c'est l'atome.
- Et à ton avis ça continue jusqu'en 1950 ?
- Après, c'est surtout de la techno, de la recherche appliquée. En physique, le gros bond en avant c'est l'informatique, dont personne n'avait d'ailleurs été fichu de prévoir l'explosion.
- Et depuis 1950, tout s'est de nouveau recentré sur la technologie. Et le fondamental en fait les frais.
Fin de cette digression. .
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