Lettre ouverte à messieurs Charpak, Balibar, Treiner

21 août 2010

 

Jean-Pierre Petit
Ancien directeur de recherche au Cnrs
spécialiste de physique des plasmas (toujours en activité )
BP 55, 84122 Pertuis

jppetit1937

                                                                                                                              Pertuis, le 21 août 2010

à MM.

Georges Charpak, prix Nobel de Physique
( Académie des Sciences de Paris)
Jacques Treiner (Université Pierre et Marie Curie)
Sébastien Balibar (Ecole Normale Supérieure)

Pièce jointe : la lettre du professeur valentin Smirnov de 2007, directeur de l'Institut de la Fusion Nucléaire à l'Institut Kurtchatov des Hautes Températures de Moscou,

toujours sans destinataire.

 

Messieurs,

J'ai lu dans la presse vos prises de positions contre le projet ITER.

Dans trente années, quand l'échec du projet sera devenu patent, il sera facile à ces gens de partir à la retraite en disant "nous sommes désolés, nous nous sommes trompés", en confiant ce bébé, devenu un monstre non viable, au terme d'une pénible et coûteuse gestation, aux générations suivantes.

Effectivement, comme vous le soulignez, le coût de ce projet va devenir tel qu'il va représenter l'ensemble des crédits de recherche pour les vingt prochaines années.

En reprenant une image véhiculée par la presse, simplifiée pour que le grand public puisse comprendre, tout se passe comme si on nous promettait d'enfermer le soleil dans une casserole, mais qu'on n'ait pas la casserole en question, et qu'on ait remis ce "point de détail" à plus tard, lorsque la faisabilité d'une fusion capable d'engendrer plus d'énergie qu'elle n'en consomme aura été démontré, pendant quelques minutes.

Un de ceux qui aient signalé l'aspect problématique de cette recherche du matériau magique dont devrait être fait cette casserole fut le regretté Gilles Degennes, qui se montrait extrêmement sceptique sur le fait qu'on puisse envisager qu'un aimant supraconducteur puisse résister bien longtemps à un flux neutronique aussi dommageable.

 

JET ITER

Le Jet a produit des réactions de fusion pendant un temps de l'ordre de la seconde, c'est un fait
Il a produit 15 mégawatts d'énergie de fusion, avec un rapport
Q = énergieproduite/énergie injectée = 0,65

 

On attend d'ITER produise 500 MW, avec un rendement supérieur à l'unité (Q=10), en assurant un fonctionnement de six minutes. En supposant que cet objectif soit atteint, pendant ces six minutes, quel intérêt cette démonstration présenterait-elle si aucune solution n'a été trouvée pour empêcher une dégradation rapide et terriblement coûteuse de l'indispensable système de confinement magnétique ? Comment un tel générateur pourrait-il être rentable s'il faut remplacer son aimant supraconducteur toutes les semaines ou tous les mois ?

La presse a évoqué la question de la paroi et de sa tenue problématique. On sait que celle-ci ne subit pas que le bombardement des neutrons, émis lors des réactions de fusion. Déboulent également les ions hydrogène correspondant au "queues des distributions de vitesse de Maxwell-Boltzmann", dans ce plasma à 100 millions de degrés. Le plasma de fusion est collisionnel et ces collisions tendent à établir, autour d'une vitesse thermique moyenne, une distribution des vitesses en courbe de Gauss, avec aux chaque extrémités des ions lents et des ions rapides. Ces derniers franchiront la barrière magnétique et détacheront des ions de la paroi, du " first wall". Ceux-ci s'en iront polluer le plasma, et entraîneront son refroidissement par Bremsstrahlung, par rayonnement de freinage, celui-ci croissant comme le carré de charge ionique impliquée (effet redoutable si ce first wall est en tungstène !). Cette pollution par les ions lourds serait inévitable.

Une dépollution du plasma de fusion a été prévue et est censée être assurée le long des "rigoles" bien visibles à la base de la chambre toroïdale, qui correspondent à une technique dite "du divertor". Un tel système n'a jamais été essayé en vraie grandeur et rien ne dit qu'il saura se montrer efficace. Un problème de plus.

 

divertor ITER

Le système de dépollution d'ITER ( "divertors" )

 

Face à cette polémique naissante, monsieur Bernard Bigot, administrateur du CEA, nous déclare :

- Si on ne fait pas ITER, par quels moyens 9 milliards d'humains, en 2070, pourront-ils se fournir en énergie pour couvrir leurs besoins ? ... Comment assurer à l'ensemble de la planète, à l'horizon de ce siècle, une énergie durable ? .... Si nous arrivons à maîtriser la physique, nous trouverons des matériaux capables de résister à un flux de neutrons dotés d'une énergie de 14 millions d'électrons-volts. ... Abandonner serait déraisonnable. Les obstacles seront maîtrisés.

Je lis que vous suggérez, en même temps que l'arrêt pur et simple de ce projet ITER, de revenir à la technique des surgénérateurs à neutrons rapides, comme Superphénix, et en règle générale aux centrales dites de quatrième génération. La technique du surgénérateur à neutrons rapides est qu'une variante du nucléaire classique, basée sur la fission de Plutonium 239. En utilisant un fluide caloporteur comme le sodium, laissant plus aisément passer les neutrons rapides, par opposition à l'eau (pressurisée) qui est arrête. On opère par bombardement neutronique une transmutation d'une couverture fertile d'U238, qui se transforme en Pu 239, avec un rapport de 1,25, ce réacteur "produisant plus de plutonium qu'il n'en consomme".

Cette option, dont la dangerosité a été l'objet de critiques, jusqu'à arrêt du projet, n'élimine pas la question de l'activation des structures et de la production massive de déchets.

Je regrette que vous ne mentionniez pas, parmi les autres options possibles, celle de la fusion aneutronique, (en fait très faiblement neutronigène, du fait de réactions secondaires, d'importance mineure) où le mélange le plus indiqué est la combinaison

Bore11 + Hydrogène1, donnant trois Hélium4 et ... pas de neutrons

Tant que la température d'ignition de cent millions de degrés n'avait pas été atteinte ( dans le JET anglais ) l'extraction d'énergie de fusion à partir d'un mélange deutérium-tritium restait hors de portée. La percée réalisée avec la machine anglaise JET changea la donne en 1991 (premières réactions de fusion) - 1997 (obtention d'un rendement Q = 0,64 avec 15 MW de puissance dégagée par les réactions de fusion).

Dans le cas de cette réaction Bore - hydrogène cette température d'ignition est d'un milliard de degrés. Or il se trouve, comme il en a été rendu compte par le professeur Malcom Haines en 2006 qu'une température atteignant en pointe 3,7 milliards de degrés a pu être atteinte en 2005 dans la Z-machine de Sandia, conçue par le professeur Gerold Yonas au début des années soixante-dix, la conduite de ces travaux ayant été ensuite confiée au professeur Deeney.

Ion Viscous Heating in a Magnetohydrodynamically Unstable Z Pinch at Over 2 x 109 Kelvin

M. G. Haines, P. D. Le Pell, C. A. Coverdale, B. Jones, C. Deeney, and J. P. Apruzese

PHYSICAL REVIEW LETTERS 24 february 2006

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Mon analyse de cet article

Une température très supérieure a très vraisemblablement été atteinte dès 2008 dans la machine ZR (la Z-machine "refurbished" où l'intensité de la décharge a été portée de 18 à 28 millions d'ampères). Or la température atteinte croit en principe comme le carré de cette intensité. Ainsi une température de quelques neuf milliards de degrés aurait, potentiellement, pu être atteinte avec ce nouveau montage. Mais, comme j'ai pu le constater, de la bouche de Matzen et Mac Kee, les deux responsables administratifs du projet, venu rendre compte de ses simples aspects technologiques au colloque des les Hautes Puissances Pulsées de Vilnius (septembre 2008), où je présentais trois communications de MHD, ces questions semblent de toute évidente relever aujourd'hui du secret défense, et même faire l'objet de ridicule tentatives de désinformation, dont j'ai été le témoin stupéfait, pour masquer tant faire que se peut, les nouvelles avancées effectuées.

Simple évocation au passage : la non-limitation de principe des températures de machines de ce type permet d''envisager l'éventuel retraitement de déchets, voire la synthèse d'éléments lourds, recherchés, ces Z-machines pouvant un jour approcher les conditions que l'on trouve au coeur des ... supernovae ( mille milliards de degrés).

Bien sûr, un tel chiffre semble relever de la science-fiction, mais qui aurait, sauf quelques physiciens visionnaires, imaginé dans les années trente les dizaines de millions de degrés des bombes A, dans les années quarante les centaines de millions des bombes H, et au début du troisième millénaire les milliards de degrés de la Z-machine ?

Comme me le confirmait Malcom Haines dans un mail, ce qui sort désormais de Sandia fait l'objet d'un cover up. La fusion d'un mélange Lithium hydrogène (l'explosif standard des bombes dites à hydrogène) ne requiert que 500 petits millions de degrés. Un compresseur MHD dérivé d'une Z-machine pourrait remplacer l'indispensable engin à fission, impossible à miniaturiser, du fait de la contrainte de la masse critique, qui limite la puissance à un minimum d 300 hectotonnes d'équivalent TNT. Cette fusion pure ouvre la voie à une possible miniaturisation de l'engin. De plus, ne produisant que de l'hélium c'est "la bombe verte", enfin utilisable. Les faibles puissances dont on pourrait alors rêver rendraient possible son emploi sans que celui qui manie l'engin ne risque de se ramasser des désagréables retombées sur la figure, et ce à des distances illimitée, du fait de leur dispersion par les jet streams.

Mais, objectera-t-on, comment imaginer une seule seconde qu'on puisse loger une Z-machine de trente mètres de diamètres dans le corps d'une bombe ?

Le compresseur MHD magnétocumulatif inventé en 1954 par Andréi Sakharov, où l'énergie primaire est simplement celle d'un explosif chimique, avait permis à cette époque de produire 100 millions d'ampères en ... quelques millisecondes.

Restait à réduire le temps au long duquel cette intensité électrique était délivrée. Elle était directement liée au temps mis pour réaliser l'écrasement, à l'aide d'un explosif chimique, d'une cavité où on avait créé un fort champ magnétique. Le Russe Chernyshev (toujours eux!) résolut le problème fort astucieusement en donnant à la chambre la forme d'un ... accordéon autour laquelle était alors coulé l'explosif. La puissance produite dépendait directement du volume magnétisé comprimé, cette géométrie nouvelle faisait que cette compression pouvait être obtenue à des échelles ... millimétriques, donc fournir les 100 nanosecondes requises.

Nous savons que ces "bombes à fusion pure", infiniment miniaturisables, jusqu'à l'échelle d'une simple ... balle, sont à l'étude aux USA et en Russie, selon le principe bien connu :

Les bombes d'abord, l'énergie ensuite....

En France, l'attitude de la DGA nous a immédiatement été signifiée :

- Rien ne se fera en l'absence de l'aval de l'armée.

ce qui n'était pas de nature à simplifier les choses. Même si l'attitude consiste à rester l'arme au pied, faute de compétences. Autre aspect, et non des moindres : cette technologie est potentiellement proliférante, puisqu'elle permettrait à n'importe quel pays de se doter d'armes à fusion pure, sans avoir à passer par le chemin, long, coûteux et peu discret de l'enrichissement isotopique d'uranium.

Je n'ignore pas que l'obtention de cette température-seuil ne suffit pas pour que ces réactions de fusion puissent se produire et que des conditions de confinement minimales doivent aussi être réalisées (critère de Lawson). Mais dès 2005 des réactions de fusion, dans des cibles D-T ont pu être obtenues à Sandia, avec un fort dégagement d'énergie.

On pourrait se dire : pour faire une nouvelle bombe, pourquoi pas ? Mais comment envisager un générateur à fusion pure ?

Les sources de décharges LTD, inventées par les Russes (encore eux!) permettent d'envisager une répétitivité à un rythme élevé ainsi qu'un accroissement quasi illimité des intensités électriques mises en jeu par multiplication de ces unités de base, de la taille d'une boite à chaussures. Second point ; la production d'énergie par ces systèmes est équivalente à une explosion, et se prête alors, avec un rendement de 70 %, à une conversion MHD directe, en opérant cette expansion dans un champ magnétique ( compression de ce champ magnétique dans ces conditions de Reynolds magnétique élevé).

Nous utilisons des véhicules brûlant des combustibles fossiles. Si la machine à vapeur a été pendant des décennies le moteur de base des navires, des trains et des machines agricoles, elles ont aujourd'hui disparu, même si elles subsistent sous la forme de turbines à vapeur. Par machines à vapeur, entendons des systèmes où le fluide dont on extrait l'énergie est à température quasi constante. Les moteurs de nos automobiles sont des "moteurs à explosion", où la combustion du carburant est effectuée à haute température, pendant un temps très bref. Appelons-les des moteurs à combustion impulsionnelle, puisqu'il ne s'agit pas, stricto sensu, d'une explosion. On y trouve, en optant pour la description la plus schématique, celle d'un deux-temps :

- La compression

- La combustion impulsionnelle

- La détente, où une partie de l'énergie, stockée dans un volant d'inertie, assure la compression suivante

ITER, avec sa température constante, ,n'est rien d'autre que la machine à vapeur du III° millénaire

Les systèmes à compression MHD représentent des systèmes à fusion impulsionnelle. Là est l'avenir, pas dans des projets comme ITER, qui sont par essence incapables d'être étendus à une fusion non polluante, d'assurer le milliard de degré requis.

Le complément du compresseur MHD est un "volant", un système de stockage. Il peut s'agir du développement de la technique des condensateurs, voire de simples volants d'inertie (je rappelle que ces systèmes mécaniques constituent la source du stockage de l'énergie requise pour les tokamaks d'aujourd'hui, dont les solénoïdes non supraconducteurs produisent un champ magnétique pulsé). Le tout débouchant sur le schéma ci-après :

- Compression MHD

- Fusion

- Production d'énergie lors de l'expansion du plasma, par " conversion directe"

- Stockage d'une partie de cette énergie

- Etc....

Le faible coût de ces installations demanderait à ce que l'aventure soit tentée immédiatement. Mais cela impliquerait la mise sur pied d'un projet européen, incluant obligatoirement les Russes, lesquels règnent en maîtres incontestés depuis l'après guerre dans le domaine de la MHD, alors que ce domaine est tombé en désuétude en France depuis 3 décennies. Une situation difficilement rattrapable.

Les retombées en matière de science pure se situent dans une véritable terra incognita, celle de plasmas en état "d'hors d'équilibre inverse". Dans un tube fluorescent, les gaz d'électrons est à dix mille degrés, et le gaz de "lourds, d'ions reste à la température ordinaire : état d'hors équilibre classique.

Dans les Z-machines les ions sont à 3,7 milliards de degrés et les électrons à dix millions.

Les forces de Laplace font converger ions et électrons sur l'axe à 400 km/s. Les puissantes forces électrostatiques empêchent les charges de s'écarter d'une distance (faible) supérieure à la distance de Debye. Au moment de l'impact sur l'axe cette énergie cinétique se trouve convertie, du fait des collisions, en énergie thermique. Mais la théorie cinétique des gaz nous enseigne que le transfert d'énergie est comme le rapport des masses des deux particules en interaction. D'où des temps de relaxation considérablement différents.

- Un quasi état d'équilibre thermodynamique s'établit en quelques nanosecondes (tel que l'a calculé Malcom Haines) au sein des ions d'une part, des électrons de l'autres.

- Mais le transfert d'énergie entre ces deux populations est une toute autre paire de machine. D'où l'écart constaté.

Il s'agit donc d'un nouveau type de plasma, fantastique sujet d'étude pour les chercheurs théoriciens et expérimentateurs, en dehors de cet aspect production d'énergie. Et cela au moment où la physique, tant expérimentale que théorique est ... en chute libre, que les étudiants s'en désintéressent de manière dramatique.

Dans son papier, Haines dénote en outre que l'accroissement de température, signalé par l'élargissement (considérable) des raies se poursuit, alors que le cordon de plasma a déjà entamé son expansion. Il suggère que celui-ci, à travers des processus de turbulence MHD, opère une conversion de l'énergie du champ magnétique ambiant. Nouveau sujet d'étude, véritable el Dorado pour chercheurs en mal de thèses.

Je m'étonne que ces travaux n'aient pas reçu plus d'écho au sein des communautés scientifiques européennes, en particulier du fait que le coût de telles installations de recherche serait de deux ordres de grandeur inférieure à celle d'un projet comme ITER. et que ces techniques offrent une souplesse qu'un projet comme ITER ne saurait offrir.

Je donne un exemple rapide, mentionné dans mon site en 2007. Au lieu d'utiliser un liner à fils, cylindrique, on peut lui donner la forme d'un tronc ce cône et "par effet de charge creuse" produire un dard de plasma, lancé à grande vitesse selon l'axe, qui qui pourra être dirigé vers une cible. Autre variante, évidente : une cible prise en sandwich entre deux liners tronconiques et coaxiaux.

La souplesse des montages est infinie. Voir la remarquable thèse de l'ingénieur Bavay, qui quitta Gramat faute d'avoir trouvé un financement pour y poursuivre ses recherches. Il rejoignit l'équipe de Deeney, à Sandia, mais dut quitter ce laboratoire quand la chape du secret défense s'abattit sur ce labo, après la percée inattendue de 2005. Il effectue actuellement, en Suisse, des calculs de simulation d'avalanches. Il parait que la neige est excellente.

A l'inverse, imaginerait-on quelqu'un qui ait l'idée saugrenue de suggérer une modification quelconque de la géométrie d'ITER, aussi minime soit-elle ?

La raison principale de cette surdité sans faille est que ces résultats expérimentaux, au moment du démarrage du projet ITER, magnifique "mangeoire", source de contrats juteux pour une masse de laboratoires et d'industries tombent ... comme des cheveux sur la soupe. Le seul homme qui aurait pu donner de la voix à l'époque était De Gennes, malheureusement déjà hors d'état de la faire, du fait de son état de santé, déjà très dégradé.

 

Un petit retour historique :

Nous savons que les progrès en matière de science sont très souvent dus au simple hasard. La Z-machine de Sandia, Nouveau Mexique, existait depuis le début des années soixante dix (je suis personnnellement allé à Sandia en 1976, où j'avais rencontré son concepteur, le professeur Gerold Yonas). A l'époque celui-ci rêvait de réaliser la fusion en focalisant des faisceaux d'électrons sur une cible D-T. Hélas une focalisation suffisante ne put être assurée. Aussi, avec le temps, Yonas abandonna-t-il ce rêve de fusion pour reconvertir cette machine en compresseur MHD.

Le principe est simple. Au départ on décharge un puissant courant électrique dans un cylindre de cuivre ou d'aluminium, qu'on appelle un "liner", ce courant circulant le long des génératrices de l'objet. Les forces de Laplace tendent alors à comprimer le métal de ce cylindre, rapidement transformé en plasma, le long de son axe. La montée I(t) du courant est pratiquement linéaire dans le temps.

Mais c'est là qu'interviennent des instabilités MHD, contrariant le processus et rompant cette belle axisymmétrie. Si celle-ci avait pu être conservée, la température atteinte aurait comblé toutes les espérances. Hélas ça n'était pas le cas. Et tout cela dura des décennies.

Yonas, et ce fut la même chose dans d'autres laboratoires, comme celui de la DGA ( La machine Sphinx, à Gramat, dans le Lot ) reconvertit sa Z-machine ( une variante de nombreux montages axisymmétriques, formant la famille des Z-pinches) en compresseur MHD, la cible étant un bloc de polystyrène, de forme cylindrique, contenu dans le liner métallique. Sous l'effet de la compression ce matériau s'échauffait, atteignait des températures se chiffrant en dizaines de millions de degrés, devenant dès lors une puissante source de rayonnement X.

Les applications visées étaient essentiellement militaires. Il s'agissait, avec une telle source de rayons X, de tester l'efficacité du "durcissement" des têtes nucléaires et de leur résistances au armes spatiales anti-missiles (essentiellement des bombes A, explosant hors de l'atmosphère et censées détruire les systèmes de contrôle des ogives par cette irradiation dans la gamme des X ).

Sur ces entrefaites le Russe valentin Smirnov suggéra de remplacer le cylindre de cuivre ou d'aluminium par un "liner à fils", constitué de centaines de fils métalliques, du diamètre d'un cheveu, subissant chacun le passage d'un courant de 70.000 ampères. L'idée de Smirnov était de tenter, à l'aide de ce montage, de conserver le plus longtemps possible l'axisymmétrie.

Bien sûr, le passage du courant dans ces cheveux, dans et à l'extérieur du métal, entraînait la sublimation de celui-ci. En même temps que ces tiges se trouvaient, sous l'effet des forces de Laplace, entraînées vers l'axe à quelques 400 km/s, où elles convergeaient en 100 nanosecondes, elles se vaporisaient, étaient entourées d'un plasma métallique, de forme cylindrique.

Ce qui se passa, c'est que cette sublimation des fils s'avéra plus lente qu'on ne l'imaginait. Comme me l'avait précisé Yonas dans un mail qu'il m'adressa en 2006, la brièveté de la décharge est le facteur déterminant. Il ne s'agit pas que de produire un fort courant. Il faut que ce courant soit appliqué pendant un temps qui ne dépasse pas 100 nanosecondes. Sinon les fils "s'évaporent" trop rapidement et le liner à fils se transforme en cylindre de plasma où courant azimutal peut dès lors circuler relançant les instabilités MHD, qui s'empressent de détruire cette belle axisymétrie et de nuire à la focalisation selon l'axe.

Il existe une machine Sphinx, à Gramat, dans ce labo de la DGA, mais avec ses huit cent nanosecondes de temps de montée elle reste irrémédiablement trop lente. Conséquence : les températures atteintes avec ce montage sont alors loin du compte.

Bref, un jour, à Sandia, on enleva la cible centrale et, avec de simples fils d'inox on put obtenir un cordon de plasma d'un millimètre et demi de diamètre, au voisinage de l'axe. Cette évolution du diamètre de ce cordon put être mesurée, de nanoseconde en nanoseconde. On mit en évidence son rebond.

 

diametre plasla

Diamètre du cordon de plasma en fonction du temps

 

Au moment de ce rebond, la pression à l'intérieur du plasma doit nécessairement être égale à la pression magnétique régnant à l'extérieur de ce filament métallique. Ceci correspond à une équation établie par Bennet, extrêmement simple. Elle permit d'évaluer la température requise, qui se chiffra immédiatement en milliards de degrés.

Yonas, sceptique, réclama aussitôt une mesure de température par élargissement de raies, qui fut effectuée et confirma la valeur déduite de l'équation de Bennet. Malcom Haines rédigea alors un article de synthèse de ces résultats, qui parut en 2002 dans la revue Physical Review. Voir plus haut.

Des voix s'élevèrent alors (chez des partisans du projet ITER) pour remettre en cause une telle valeur de la température. Certains spécialistes des plasmas chauds dirent que cet élargissement de raie correspondait à des sources qualifiées de "points chauds", lieux d'excursion de température liés à une sorte de turbulence magnétohydrodynamique. Selon eux, il existait bien des régions de très faible extension, où ces température étaient atteintes, mais globalement le filament observé ne possédait pas une température aussi élevée.

Cet argument ne tient pas. Si le pression se mesure en newtons par mètres carrés, c'est aussi une densité d'énergie, en joules par mètre cube. Dans cette vision réductrice, ces "points chauds" devaient représenter des lieux d'excursion (turbulente) de pression, supposés n'intéresser qu'un fraction infime du volume du cordon obtenu. Mais la pression régnant au sein de celui-ci devait être la somme de ces diverses contributions, supposées associées à des densité d'énergie différentes, selon les dires de ces spécialistes.

Si leur explication tenait la route, la pression globale dans le cordon aurait alors été insuffisante pour empêcher son écrasement par la formidable pression magnétique extérieure, se chiffrant en centaine de millions de bars. Or le cordon ... rebondissait, ce qui prouvait qu'à l'instant de son confinement maximal sa pression, de nature thermique, était à même de contrebalancer cette pression magnétique extérieure.

Aucun de ces spécialistes ne se révéla capable d'entendre cet argument, leur position n'étant pas celle d'authentiques scientifiques, mais de pompiers volant au secours du projet ITER, ainsi menacé, tel Goliath par un minuscule David.

Pendant une année, avec l'aide d'un ancien ingénieur militaire, retraité, nous avons bataillé pour tenter d'attirer l'attention du monde scientifique français sur cette nouvelle opportunité, d'un coût inférieur de deux ordres de grandeur à celui d'ITER et qui méritait, en tout état de cause, d'être explorée. Nous nous heurtâmes à un mur, aucun spécialiste français ne voulant subir le contre-coup d'une position qui lui aurait fait critiquer, de facto, le bien fondé du projet ITER.

Le professeur valentin Smirnov vint à notre rescousse en nous envoyant une lettre ... sans destinataire, dont vous trouverez la copie ci-jointe (Il a en fait envoyé cette lettre à un collègue français, ancien du CEA_DAM, à sa demande, et c'est celui-ci qui me l'a transmise). C'est en vain que nous cherchâmes une personne de qualité à qui se courrier aurait pu être officiellement adressé, qui signalait l'intérêt simplement de l'approche Z-pinch, sans toutefois critiquer le projet ITER.

J'ai même été jusqu'à rencontrer le jeune conseiller scientifique de Valérie Pécresse, Edouard de Pirey, à qui j'ai confié la copie de cette lettre, en suggérant que sa patronne, ministre de la recherche, accepte d'en devenir la destinataire.

Vox clamat in deserto.

Si vous vous êtes d'accord, et c'est le but de cette présente missive, vous pourriez devenir le destinataire de ce courrier, dûment signé par le professeur Smirnov, ce qui vous donnerait un argument supplémentaire pour arrêter la gabegie sans fond à laquelle vous avez entrepris de vous opposer.

Sincèrement à vous

Jean-Pierre Petit
Ancien directeur de recherche au Cnrs

PS : Bien entendu, les spécialistes russes, anglais ou américains seraient à même de donner de plus amples explications et commentaires sur cette filière de Z-pinches. Ils seront présents au prochain colloque sur les Hautes Puissance Pulsées, qui se tiendra du 10 au 13 octobre en Corée et où J.C.Doré et moi-même présenteront, à travers une communication orale de 30 minutes, nos derniers travaux expérimentaux sur le confinement pariétal d'un plasma par inversion du gradient de champ magnétique. Signalons que lors de ce colloque, la moitié des 275 communications sera liée, directement ou indirectement à ce problème des Z-machines.

 

Une lettre de 2007, toujours sans destinataire :

 

Valentin Smirnov

Académicien

Director of the Institute of Nuclear Fusion.
Kurchatov Institute of High Temperatures
Moscow

15 January 2007

Let me introduce myself.

I am a Director of the Institute of Nuclear Fusion in Russian Research Center Kurchatov Institute in Moscow, academician of Russian Academy of Sciences, Prof. Valentin SMIRNOV.


I was graduated from the Moscow Institute of Physics & Technologies in 1961. I received the doctor degree in 1967 and second degree of Doctor of Sciences in 1981 from Kurchatov Institute. Till 1978, I joined Kurchatov Institute as a head of experimental laboratory.

During that time I carried out fundamental research on microwave and shock wave anomalous plasma heating, high current electron beam transport and its interaction with conical thermonuclear targets. My pioneer works on magnetic self-insulation of vacuum transmission lines permitted to solve the problem of high current pulsed power transport and to develop a concept of high energy pulsed power accelerator ANGARA-5 proposed by myself.

In 1978, I joined the Branch of Kurchatov Institute of Atomic Energy, today TRINITI, where I headed a Division, in which the ANGARA-5 was constructed and fundamental researches on pulsed high energy plasma were carried out.

Those researches were a significant contribution to high energy density physics on the whole and to physics of Z-pinches in particular. Together with Dr. S. Zakharov we suggested the Double Liner/Dynamic Hohlraum concept for initiation of fusion capsule.

Those works have changed the relation to Z-pinch in the world and initiated to revise the pulsed power based inertial confinement fusion programs in laboratories in the leading countries. In the USA, in Sandia National Laboratory, the light ion accelerator was rebuilt to the most powerful in the world Z-machine operating with high current Z-pinches.

As it is well known, this has resulted in outstanding achievements with the Dynamic Hohlraum scheme of irradiation of a thermonuclear target surpassing all results in prior indirect-drive laser-driven experiments.

Also, the recent results on ultra high ion temperature (over 2∙109 Kelvin) in Z-pinch at Z-machine opens new possibilities in basic and thermonuclear researches.


Since 1998 I joined the Kurchatov Institute as a Director of the Institute of Nuclear Fusion. The Institute of Nuclear Fusion is a leading organization from Russia in International Thermonuclear Energy Reactor (ITER) project.

For researches on pulsed power physics, interaction of high power electron beams with plasma and high energy density physics I was rewarded:

in 1981, the Great State Reward of the USSR;

in 1997, the Great Government Reward of Russian Federation;

in 2002, the International Prize BEAM’S 2002;

in 2005, the Alfven Prize of European Physical Society.

I am a Chairman of the Scientific Council of the Kurchatov Institute. In 2003 I was elected as an Academician of the Russian Academy of Sciences.

Now, I head the fusion researches both on tokamaks, ITER and Z-pinches in Kurchatov Institute and TRINITI.

Thermonuclear energy will be an important part of the world energetic system. It has a lot of advantages. Thermonuclear reactors have an intrinsic safety in comparison with nuclear reactors. Constructions and materials from thermonuclear reactors have no long-life radioactive contaminations, in 100 years 80% of them may be used again. Thermonuclear energy has much more sources of raw materials that provides the energy for mankind for thousands of years and eliminates the problem of fuel resourced distribution across the world .

France carries a historical mission, accepting on its territory the ITER project and contributing the great efforts for its realization.

Today, the ITER project is the main line in fusion energy, but it is reasonable to develop various approaches to fusion energy and variety of reactor schemes as well with magnetic confinement, as with inertial one.

As an example, one may say that thermonuclear energy may be significantly more clean if instead of D-T reaction to use D-3He one that has 20 times less neutron emission, or totally be saved from neutrons using H-11B reaction.

But to move to “clean fusion” the ion plasma temperature should be increased in orders of magnitude.

One of such possibility was demonstrated in experiments with Z-pinch.

Also, Z-pinches have the fundamental scientific value in the high energy density physics.

Sincerely,

Valentin Smirnov

 


 

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