Mort de Loïc Leferme
12 avril 2007
Je suis triste. J'ai lu ces lignes. Lisez-les.
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Allez jeter un oeil sur un article que le journal Libération avait consacré à Loïc Leferme
et, plus généralement, allez au menu de mon dossier " dangers ". Voyez en particulier la mort d'Audrey Mestre, celle de Jean-Christophe Lafaille
morts sur l'autel de l'extrême
Plus énorme : Loïc Leferme est un "produit makteing". Son image : l'extrême, le dépassement de soi, la maîtrise de on corps, de son esprit. Tout cela joint à un "souci de sécurité". Mais, plus encore, voilà Leferme associé à une campagne de sensibilisation au problème des maladies pulmonaire ( une publicité parue dans Telerama ). Lisez, ça se passe de commentaires
:
J'ai toujours aimé l'aventure, le vent du large, la lumière qui joue sur le pont d'une épave, le toucher du calcaire d'une falaise. J'ai aimé les nuits de safari où on entend les lions feuler, les marches avec les Maasai. J'ai aimé le souffle d'air qui emporte sous les nuages un frèle équipage de tubes et de toile. J'ai aimé voir les mantas géantes jouer avec ces humains minuscules que nous sommes. J'ai dévoré la vie à pleine dents, depuis que je suis gosse, et je compte bien continuer jusqu'à mon dernier souffle.
Mais ça, ça n'est pas l'aventure. Ca n'était qu'un affreux jeu avec la mort, avec les médias embusqués, comme des voyeurs. Tu t'es fait avoir, petit homme, par ceux qui vendent le danger comme un produit, comme des charognards.
- Il y a la mort de Leferme. On fait quelque chose là-dessus ?
- Faut voir. Est-ce qu'on a des images ?
- Oui, on a des images. Il y a quelques plans pas mal.
- Mais l'apnée, on en a déjà pas mal parlé, non ?
- Mon vieux, le off limit, ça fait de l'audience. Regarde les chiffres.
- On pourrait peut-être envoyer une équipe interviewer la veuve ?
- On a René dans le coin. On pourrait lui demander de faire un saut là-bas.
- Oui, je suis d'accord. Dis à René d'aller interviewer la veuve.
Mais vous faites un truc court, un trois minutes, pas plus. On a une actu assez chargée. Bon, on a autre chose ?
Ta peau, ils s'en foutent, mon bonhomme. J'ai bien connu Jacques Mayol, ce "pionnier" évoqué par Stéphane Mifsud. J'ai plongé avec lui en plusieurs endroits, à Cay Sal Bank, au large de la Floride et dans des trous bleus, aux Bahamas. Il ne vivait que de ces foutus médias. Il vieillissait. Une équipe a accepté de le filmer pour une descente sur un chariot qu'il avait construit, où il était en position assise. Il était prévu qu'il ne descende qu'à 80 mètres. Je me rappelle de tout cela. Il avait un peu d'otite.Il décompressait mal. Il a tenté le coup quand même, mais, très vite, la décompression a été insupportable. Il a lâché le chariot et est remonté à la surface. Les autres l'ont quand même filmé. Il a pleuré. Il a du se dire "je suis fini, cette fois".Les types ont remballé le matériel.
- Salut, Jacques...
Mayol a traîné quelques années de plus, puis un soir de Noël il s'est pendu, dans sa maison de l'île d'Elbe. Sans les feux de la rampe il a eu l'impression de ne plus exister.
L'apnée n'est ni un sport, ni une aventure. Ce qui est arrivé était à prévoir. Ce qui est affreux c'est qu'il a fallu que ce jeune homme se tue, dans cette sorte d'exécution programmée sur l'autel de l'extrême. Cela fait 17 ans que je crie "danger !" . Aucun média n'aurait organisé un quelconque débat sur ce sujet. Il n'y a pas un responsable politique qui ait assez de couilles pour interdire cette activité.
Analysons ces records en plongée libre, qui dépassent maintenant les 180 mètres. Ces gens rêvent du "mur des deux cent mètres". Or sachez que pour de tels recordmen, aucun suivi sécuritaire n'est techniquement possible. Les temps pour les paliers de décompression croissent exponentiellement avec la profondeur. Il est donc techniquement impossible de maintenir à poste des plongeurs équipés de bouteilles qui puissent se tenir prêts à porte secours à l'apnéiste en cas de problème. Quand Mayol tentait ses records il y avait un maximum de plongeurs équipés de bouteilles à différentes profondeurs. Avec un gros tri-bouteille contenant 3 mètres cube d'air sous 200 bars un plongeur peut stationner à 60 mètres pendant disons une quinzaine de minutes ( je ne connais pas le chiffre exact. Un plongeur me le dira ), de telle manière de sa "réserve" puisse lui permettre de négocier ses paliers de décompression en remontant. Cela veut dire aussi que le record devra faire l'objet d'un timing serré. C'était le cas pour les records de Mayol. Quand il se sentait prêt, le compte à rebours était enclenché dès que ses plongeurs équipés de bouteilles gagnaient leur poste "profond", à 60 mètres et plus. Pour ceux qui étaient plus près de la surface les contraintes étaient moins serrées. Mais si, pour une raison quelconque Mayol ne descendait pas "dans les temps", disons s'il prenait 20 minutes de retard, ses anges gardiens des profondeurs devaient remonter vers la surface sous peine de risquer un palier de décompression avec des paliers trop courts. A moins qu'on puisse leur passer des bouteilles pour faire ces paliers allongés par un séjour au fond plus important.
L'apnéiste, lui, n'a pas à faire de paliers car son séjour en profondeur est suffisamment bref pour qu'il n'ait pas le temps de charger son sang en azote.
Le record de Mayol, c'était cent mètres. J'imagine que quand il partait vers la gueuse située à 100 m de profondeur ses anges gardiens pouvaient gagner une profondeur plus importante pour accroître sa sécurité, en regagnant au plus vite la zone près de la surface, pour y commencer leurs paliers. Dans ces conditions, si Mayol avait eu un malaise à la descente ou à la remontée il aurait eu quelque chance d'être secouru. Il ne faut pas oublier qu'avec la profondeur la combinaison du plongeur est comprimée, son volume thoracique est réduit. Il gagne donc un poids apparent important qui atteint plusieurs kilos. S'il perd connaissance, il coule. Pour des descentes à 180 mètresil est tout simplement exclu que les apnéistes puissent bénéficier d'un environnement sécuritaire équivalent, pour lequel il faudrait mettre en place des plongeurs utilisant des appareils fonctionnant avec un mélange oxygène-hélium, à partir de, disons, cent mètres. Ces records pourraient aussi être faits à proximité d'une cloche à plongeur où séjourneraient, sans limitation de temps, des plongeurs "en état de saturation", au sang déjà gorgé d'azote, capables d'intervenir à ces profondeurs voire d'opérer un sauvetage, par exemple en ramenant l'apnéiste dans leur cloche. Ceux-là seraient alors remontés dans un caisson et effectueraient leur décompression "au sec", dans un caisson hyparbare. Mais il s'agit de moyens très lourds. Il est fort peu probable que l'équipe de soutien de Leferme puisse offrir ces conditions de sécurité. Le plongeur apnéiste est alors comparable à l'homme qui grimpe "à mains nues", sans corde, sans la moindre assurance. Au moindre pépin, au moindre malaise c'est la mort assurée. De plus, à 180 mètres de profondeur la luminosité est très atténuée. L'eau de mer absorbe la lumière du soleil. Est-ce que des plongeurs équipés de bouteilles, en faction à 60 mètres de profondeur peuvent suivre visuellement un plongeur qui se situe 120, et un jour 140 mètres plus bas ? Je suis loin d'en être sûr.
C'est ce côté "sans assurance" qui est en quelque sort grisant pour l'amoureux de l'extrême et qui fascine le public, comme jadis celui-ci était fasciné par les trapézistes qui opérauent sans filet. Même sentiment pour ce petit homme, Jean-Christophe Lafaille, qui s'attaquait, seul, au plus grands sommets de l'Himalaya et qui laisse une femme et un fils de cinq ans, ayant vraisemblablement disparu en janvier 2006 dans la première crevasse venue.
Nous vivons peut être une époque assez moche, en particulier pour les jeunes. Si j'avais vingt ans aujourd'hui, je me dirais "que faire de ma vie ?". Réponse pas évidente. Les mensonges du monde montent comme des émanations putrides. Que reste-t-il ? S'enrichir ? Plumer son voisin ? Se droguer ? Que faire quand on n'est pas né dans la richesse ?
Je ne sais que répondre. Je dirais seulement une chose : les médias sont des miroirs aux alouettes. Ils me dégoutent de plus en plus. Je pense au film " Gladiator ". Vous vous souvenez de cette séquence où on voit l'empereur qui s'installe dans sa tribune. Arrive l'organisateur des jeux, qui évoque le programme du jour :
- César, aujourd'hui nous avons une reconstitution de la bataille de .... Très beau spectacle. Nous avons des Thraces.
César le regarde d'un oeil blasé.
La foule s'installe. Elle va voir la mort, en jouir.
L'apnée n'est qu'un jeu avec la mort. C'est ça qui excite la foule, qui la fait jouïr, ce qui fait de l'audience
Je me suis maintes fois insulter pour l'avoir dit. De nouveau, les faits me donnent raison. Mais il n'est même pas sûr que la mort de Loïc Leferme stoppe cette course à l'absurde. Déjà on imute ce "stupide accident" à "une corde qui se serait coincée". Relisez l'article. Pierre Frolla est hébété. Il ne comprend pas.
- Loïc n'était pas un apnéiste à vouloir faire les choses à tout prix. Il n'a jamais pris aucun risque. Il ne serait jamais allé au-delà de ses limites. Il était celui capable d'aller à 200 mètres. Et surtout, il était entouré de la meilleure équipe qui soit", a déclaré le Monégasque à Reuters. Cet accident, Pierre Frolla le voit "comme un jour à la con, seulement un concours de circonstances" et ajoute "C'est trop injuste".
Ben voyons. Admettre que cette "discipline" n'est qu'une immense connerie reviendrait à tout remettre en question, à renvoyer les candidats-héros vers la grisaille de l'anonymat.
Après le mur des 200 mètres, ça sera quoi ? Le mur des 300 ?
Ces exploits sont absurdes. Ils n'ont même strictement rien de sportif. Un homme descend, très vite, accroché à une gueuse, puis remonte, tiré par un ballon. Si on voulait créer une "meilleure sécurité" le plus simple serait d'attacher le bonhomme à une simple corde, elle-même liée à une geuse. On pourrait se descendre à fond, rapidement, puis le remonter. Au moins on serait sûr de le récupérer. Même en cas de syncope on pourrait s'en occuper en surface. Mais alors l'exploit présenterait un moindre risque. Pourtant, entre cela et la descente, une gueuse à lamain et l;a remontée accroché à un bollon, où est la différence ?
Le "grand progrès" a été de parvenir à noyer ses sinus. A y regarder de près on pourrait aussi mettre un type dans un caisson, le comprimer sous vingt bars, puis relâcher la pression. En dehors du côté spectaculaire c'est du pareil au même. Le seul attrait de cette activité ce sont les retombées médiatiques, la fascination morbide.
Il y aura d'autres morts, soyez rassurés.
Croyez-vous qu'un média organiserait un débat télévisé sur ce sujet ? Non ça ne serait pas "vendeur". Maintenant il reste une jeune femme avec deux jeunes enfants. Quelle tristesse.
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