Un petit dernier avant la route

créé le 12 juin 2005 - mis à jour le 17 mars 2007 ( bas de page )

Avant d'abord ce sujet de l'alcool au volant, un souvenir remonte de mon passé. J'étais étudiant à Supaéro. Ca devait se passer en 1959 ou 1960. L'école était alors encore située à Paris, boulevard Victor. Elle accueillait ( et je suppose que c'est toujours le cas ) deux types d'étudiants. Les premiers étaient des élèves-ingénieurs civils, les seconds des élèves qui sortaient de polytechnique qui intégraient alors Supaéro "en tant qu'école d'application". A l'issue de deux années d'études ils devenaient "ingénieurs militaires de l'Air". L'un d'eux s'appelait Gildas Rouvillois. Il possédait une Renault Dauphine et une belle pipe couverte de peau de phoque. C'était la mode à l'époque. Un jour nous avons eu l'occasion d'être invités dans un chalet, pour faire du ski. Duvillois devait nous amener tous les deux avec sa voiture.

Avant d'être affecté à Supaéro il avait souhaité être pilote de chasse et avait séjourné à la base de Meknès, au Maroc. Là, il avait été mis sur des monoréacteurs subsoniques Dassault "Ouragan", ancêtres du Mirage III, qui étaient utilisés comme appareils d'entraînement.

 

L'avion Dassault " Ouragan "

 

On les exerçait les pilotes au tir en les faisant plonger vers des cibles remorquées sur lesquelles ils tiraient avec leur "ciné-caméra". Mais Rouvillois ( qui devint par la suite ingénieur général à la DGA, à la dégélation générale de l'armement ) avait une méthode très personnelle pour effectuer ses passes de tir. Il fondait sur la cible et donnait un coup de manche et de palonnier au tout dernier moment, pour éviter la collision.

Au bout de quelques mois ses instructeurs lui expliquèrent avec ménagements qu'il aurait des chances de vivre beaucoup plus longtemps en travaillant dans un bureau. Il fut rappatrié en France et versé dans le corps des ingénieurs militaires de l'air.

Il m'avait raconté cette histoire lui-même. Sans doute frustré de ne plus piloter de jet il s'était acheté une Renault Dauphine, évidemment beaucoup moins puissante et dépourvue d'ailes.

 

La Renault Dauphine

 

Rouvillois ne buvait pas mais, sur la route il n'avait pas perdu ses réflexes d'apprenti pilote de chasse. Ainsi, quand il doublait une voiture, il fondait suir elle pied au plancher ( à l'époque la Dauphine, terriblement instable à cause de la position arrière de son moteur, atteignait en pointe 120 km/h ). Quand il était presque sur le "véhicule cible" il donnait deux brusques coups de volant, pour doubler.

Nous n'avons pas dépassé Meulun.

Quand Rouvillois fondit sur sa dernière voiture-cible, c'était en descente. Il s'agissait d'un petit camion noir qui roulait à vitesse modérée, en tenant bien sa droite. Un premier coup de volant de notre polytechnicien mit la Dauphine sur les deux roues de droite. Il donna alors immédiatement un coup de volant inverse, qui nous mit sur les deux roues de gauche. Le troisième coup de volant nous envoya en tonneaux successifs, sur le côté gauche de la route. Le conducteur du camion, ne s'apercevant de rien, poursuivit sa route en toute innocence. Comment aurait-il pu imaginer qu'il avait été confondu pour une cible remorquée par un ex-élève pilote de chasse se croyant encore aux commandes d'un jet ?

Les ceintures de sécurité n'existaient pas à l'époque. Le franchissement d'un petit talus nous fit quitter nos sièges. Je me souviens très bien que, flottant à l'intérieur de la partie avant du véhicule j'avait vu la voiture tourner. J'avais également vu Duvillois quitter la voiture, par la portière qui s'était ouverte sous le choc, pour entamer un vol plané de plusieurs dizaines de mètres ( peut être était-ce normal, après tout, pour un pilote ).

Ce qui me frappa fut le silence qui suivit. La voiture était couchée sur le côté. Je pus sortir par la portière. Rouvillois avait atterri dans un arbre, miraculeusement indemne. Il en glissa comme un fruit bien mûr. J'avais une chemise blanche et je m'aperçus qu'elle était rouge de sang. Je me dis que j'avais peut être perdu une oreille ou quelque autre accessoire corporel. Tout en m'extrayant du véhicule je fis quelques vérifications. Mon nez était toujours en place, mes oreilles aussi. Mes mains étaient indemnes. Mais d'où venait tout ce sang ? Avais-je un trou dans le crâne ?

Une de mes oreilles avait été déchirée.

Rouvillois avait retrouvé ses esprits. Il articula :

- Dans la malle avant... mon blouson avec mon porte-feuille, mes ... papiers.....

Il y a des gens qui, après un choc violent, cherchent en priorité à recouvrer leur identité.

Je m'étais éloigné à une dizaine de mètres de la voiture dont les roues tournaient encore. Mais au lieu de marcher vers celle-ci, quelque chose m'arrêta. Bien m'en prit. Le réservoir d'essence, qui contenait quarante litres, prit feu. Cela se passa exactement comme dans les films de Belmondo. La voiture fut entourée immédiatement par une boule de feu d'un jaune vif éclatant. En quelques secondes les cinq pneus éclatèrent. Je reculais à plus de cent mètres du véhicule pour ne pas être cuît par le rayonnement intense produit par l'incendie.

Pendant que l'essence achevait de brûler j'entrepris d'essayer de stopper une voiture sur la route de campagne à grande circulation que nous venions de quitter par la voie des airs. Mais les automobilistes, avisant le véicule en flamme et moi qui gesticulait avec ma chemise rouge de sang, accélérèrent et firent un crochet pour m'éviter et continuer leur route.

J'en comptais soixante dix.

Je réussis à stopper le soixante et onzième en me collant carrément au milieu de la route, les bras en croix. Il réussi à m'éviter mais, se disant que j'avais peut être réussi à noter son numéro, s'arrêta quelques dizaines de mètres plus loin. Je courrus pour le rejoindre avant qu'il ne détale, lui aussi, ouvris sa portière. Ill me dit alors :

- Vous avez besoin d'aide ?

Je le félicitais pour son remarquable sens de l'observation. Il nous conduisit à l'hôpital de Meulun. Rouvillois, visiblement choqué par son atterrissage dans l'arbre, n'arrêtait pas de répéter :

- Je dois avoir la rate écrasée. Il y a des gens qui ont des accidents. On croit qu'ils n'ont rien, mais en fait ils ont la rate écrasée et meurent d'un coup...

Nous fûmes admis aux urgences. La rate du polytechnicien avait tenu le choc. Le sang qui maculait ma chemise venait de mon oreille droite, qui ne tenait plus que par un lambeau de chair. L'interne se proposa cattément d'enlever le morceau, mais je protestais :

- Essayez de recoudre. Si ça ne tient pas il sera toujours à temps d'enlever ce lobe d'oreille.

L'expérience me donna raison. Tout se remit en place assez rapidement. Dans l'autocar qui nous ramenait à Paris Rouvillois me posa cette question :

- Qelles sont les voitures françaises stables ?

La Dauphine, c'est bien connu, n'était pas un prodige de stabilité. Mais de la façon dont il conduisait je pense qu'il aurait été capable de faire faire un tonneau à un char d'assaut.

Je revins sur les lieux de l'accident le lendemain, toujours en autocar. Je n'oublierai jamais ce que je trouvais là-bas. Tout avait été volatilisé, transformé en de la cendre la plus ténue, au coeur de laquelle on trouvait des paquets de verre représentant ce qui restait du pare-brise et des vitres latérales qui avaient fondu sous la chaleur. Il n'y avait plus la moindre trace de tissu, de cuir ou de matière plastique, rien. Aucun objet n'était identifiable. En continuant à explorer cette cendre qui avait eu toute la nuit pour refroidir je trouvais des oeillets de chaussures de ski, une boucle de ceinture et un autre bloc de verre, plus petit, qui devait représenter ce qui restait de l'appareil photographique de Rouvillois.

- Fichtre, me dis-je, si tu étais resté coincé dans ce véhicule, tout ce qu'on aurait retrouvé de toi ce sont ta boucle de ceinture de pantalon et tes plombages dentaires.

Et c'était sacrément vrai. De cette mésaventure j'ai conservé un profond respect pour l'automobile. J'ai toujours évolué sur les routes en imaginant ce qui pourrait se passer si, soudain, une flaque d'huile se trouvait au rendez vous au détour d'un virage. Au point de vue des priorités j'ai toujours cru qu'il était préférable de laisser à l'adversaire le bénéfice du doute car "mourir dans son droit" n'apporte finalement qu'une piètre compensation. Je ne suis pas sorti de cette histoire en ayant peur de la voiture, ou peur en voiture mais simplement en conservant le souvenir de ce qu'il était advenu un beau jour, sur l'axe Paris-Meulun. J'aurais pu mourir. Mais ce n'est qu'un moindre mal. Rares sont les gens qui n'ont pas eu d'accidents. Le plus horrible ce sont ceux qui auraient pu être parfaitement évités si l'un des conducteurs avait su rester acceptablement sobre avant de prendre le volant. Il y a à l'observatoire de Marseille un collègue dont le fils a été tué par un homme qui avait x grammes d'alcool dans le sang. C'est hélas effroyablement fréquent.

On ne plaisante pas avec l'alcool quand on conduit. Cette drogue accroît les temps de réponse, dans les actes réflexes, diminue les capacités de jugement, altère les évaluations de distance et de vitesse, en particulier quand on envisage de doubler. Quand on sent qu'on n'est pas très à l'aise au volant, mieux vaudrait s'arrêter sur le bord de la route, s'allonger sur la banquette arrière et attendre sagement que les fumets de l'alcool se soient dissipés. Pour soi, pour les autres. Car, souvent, quand le conducteur boit ce sont les autres qui trinquent.

Tout cela donne des paraplégiques, des infirmes, alimente le commerce des fauteuils roulants. Les images que vous allez voir maintenant sont difficilement soutenables. Si vous avez tendance à pousser sur la bouteille avant de rouler, forcez-vous à les regarder. Si vous avez un enfant qui fait de même, montrez-lui ces photos. Elles montrent jusqu'on les choses peuvent aller.

 

 

Trois des passagers du véhicule où la jeune Vénézuélienne a pris place sont tués sur le coup. Elle-même reste coincée dans la voiture qui commence à brûler. Voici la photographie de la jeune fille, avant son accident. A droite, avec son père :

 

 

et après l'accident :

 

 

 

Quand les pompiers réussirent à la dégager elle était brûlée à 60 % et dut subit quarante opérations. Ses doigts ayant été également profondément brûlés, on dut procéder à une amputation presque complète de ses phalanges.

 

 

 

Voilà ce qui reste aujourd'hui de la ravissante Jacqueline Saburido. A droite, le conducteur; Reggie Stephey, qui avait pris la route après avoir bu trop de bière, condamné à sept ans de prison pour meurtre. Derrière lui, les barreaux de sa cellule.

 

 

23 juin 2005 : Un idée en passant.

 

Dans une histoire aussi lamentable il y a deux responsables :

- Le jeune qui a pris le volant en ayant bu

- Celui qui lui a servi toutes ces bières, en supposant que ce jeune client les ait bues dans le même débit de boisson.

Bien sûr, quand "l'unique coupable" est appréhendé, c'est lui qui ira croupir 7 années en prison. Imaginons que tout client qui se soit fait servir une boisson alcoolisée soit en droit de se faire délivrer un tiquet de caisse portant les boissons consommées, leur nombre, le jour et l'heure où ces boissons ont été servies et totalisant automatiquement la quantité l'alcool contenue. En cas d'accident, s'il encourt une responsabilité et si le client produit ce récipissé, le tenancier pourra être tenu pour responsable ( avec une responsabilité aggravée si le client est mineur ).

Ce système est "lourd", mais les conséquences des accidents le sont encore plus. Les USA essayèrent jadis la prohibition. Ca ne marcha pas. Là, il s'agit de gérer automatiquement (les "tiroirs-caisses modernes sont aussi des ordinateurs) les quantités d'alcool vendues et consommées. Un tenancier pourra être incité à refuser à un client une boisson supplémentaire, sachant qu'il pourrait partager sa responsabilité en cas d'accident de la route due à son ébriété.

Si un client prend le volant après avoir bu, il sait que la détection d'alcool dans son sang le met aussitôt en position de vulnérabilité au plan juridique, faisant de lui un coupable tout désigné. En exigeant son tiquet de caisse, il sait qu'il rendra l'établissement coresponsable de tout accident, si la quantité débitée fait que le client, en prenant la route, est devenu un danger public.

Cela revient à responsabiliser les vendeurs de boissons alcoolisées. Quand on sait, quand on voit les conséquences d'un ébriété au volant ces mesures draconiennes ne semblent pas excessives.

Les médias ne montrent pas des images comme celles-là. Il s'agit d'un accident d'automobile. Mais pensez que chaque jour des avions lâchent des bombes au napalm qui, si elles ne tuent pas leurs victimes, les laissent dans un état semblable. Pensez que pendant que des gens comme Bush, Dick Cheney, Condolezza Rice, Donald Rumsfled et tant d'autres s'enrichissent sans le moindre complexe, tous les jours de jeunes soldats américains périssent en Irak et que dix fois plus rentreront au pays estropiés, infirmes, brûlés, aveugles. Multipliez ce chiffre encore par dix pour évaluer les souffrances endurées par la population irakienne, pour une guerre qui n'a jamais été rien d'autre qu'une opération visant à contrôler les ressources pétrolières du Moyen-Orient avant que celles des pays occidentaux ne se tarissent.

Je ne sais pas si vous avez vu le film "Le Nerf de la Guerre", extraordinaire documentaire sur la façon dont le lobby militaro-industriel américain dirige la politique des Etats-Unis. Deux pilotes sont interviewés, ceux-là mêmes qui lâchèrent, de nuit, depuis leurs avions furtifs F-117A quatre bombes "guidées par laser" en visant en principe une des résidences de Saddam Hussein, ce qui marqua le début de l'opération contre l'Irak, " nation détentrice d'armes de destruction massive ". On voit le plus jeune des deux pilotes dire :

- Il y a quelque chose d'exaltant de savoir qu'on va lâcher des bombes qui marqueront le début d'une guerre visant à libérer tout un peuple.

Mais il y eut "des dommages collatéraux". Des bombes manquèrent leurs cibles et frappèrent un quartier populaire voisin. En fait, 40 % des bombes larguées sur l'Irak qui, selon les dires de Donald Rumsfeld "ont une précision défiant l'imagination", manquent régulièrement leurs cibles. Aujourd'hui le revenu irakien par habitant est tombé à ce qu'il était en 1940.

Il faut garder en tête ce qui se cache derrière ces communiqués de presse si banalisés. Il y a quarante ans nous avions les mêmes, pendant la guerre d'Algérie.

- Un accrochage s'est produit entre rebelles et forces de l'ordre qui a fait tant de morts .....


L'histoire ne se répète pas, elle bégaye.

 


17 mars 2007 : Transmis par un lecteur.

Il y a encore, sur les routes de France 5000 morts par an.

On peut considérer les images que vous allez voir sur ce document comme horribles, insoutenables. Elles sont, en fait, d'une terrible banalité. Voilà ce qui peut rester de votre fils, ou de votre client, un jeune à qui vous aurez servi un verre de trop. Et encore : celui-ci est mort instantanément, sans souffrir. Songez à " ceux qui s'en tirent ".

L'alcool au volant est une plaie. Pourquoi, sur chaque bouteille d'alcool ou de bière ne figurerait pas un message d'avertissement, comme sur les cigarettes. Rappelez-vous le slogan :

 

Un verre, ça va. Trois verres : bonjour les dégâts



 

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