Shoah
25 janvier 2005
Shoah en DVD :
Dvd zone 2:
http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?PRID=1248322&Origin=GOOGLE_VIDEO&OriginClick=yes/
Dvd zone 1:
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/B00005JM8V/qid=1106499339/ref=sr_8_xs_ap_i1_xgl/171-4622482-3311423/
J'ai regardé hier soir de longs fragments de l'incroyable document réalisé par Lanzmann et intitulé " Shoah ". Je ne savais pas que ce film durait quelque chose comme neuf heures. J'ai tenu le coup jusqu'à cinq heures du matin. J'ai regretté d'abord, étant donnée l'importance d'un tel document, qui en aurait éclairé plus d'un, que celui-ci n'ait pas carrément été diffusé sur une des chaînes, par épisodes, à une heure de grande audience. Même en programmant l'enregistrement il était impossible, à moins de rester éveillé, de mettre sur cassettes un film qui dure neuf heures.
J'espère que Shoah existe sous forme d'une suite de fichiers avi, téléchargeables à partir d'un site Internet, sinon il faudrait que ceci soit mis en ligne, étant donnée l'importance du document. Je serais le premier à télécharger ces documents, dont nos mémoires doivent conserver la trace sans limitation de temps.
Pourquoi est-ce que Shoah est à mes yeux important ? Est-ce vis à vis des souffrances supportées par le peuple Juif ? Est-ce vis à vis des excès auxquels ont pu se livrer les représentants d'un groupe issu de la nation allemande, les Nazis ? Je pense que cela va beaucoup plus loin que cela. Shoah nous permet de voir jusqu'où l'homme est capable d'aller. Je crois qu'il est urgent que les gens se remettent cela en tête, faute de quoi ils risquent de ne pas percevoir des horreurs semblables qui sont en train, à mon humble avis, de se mettre en place actuellement et qui pourraient dépasser ce que nous pouvons voir dans ce film.
Avant de revenir sur ce thème, que voit-on sans le document de Lanzman ? Des témoignages, uniquement des témoignages de première main. Certains protagonistes sont filmés à leur insu, à l'aide d'une mini caméra vidéo reliée par une antenne à un récepteur situé dans une camionnette stationnée à proximité. Lanzmann ne mêle absolument par de documents d'archives, ni même de plans fixes. Il n'y a aucun "étalage". Ca n'en est que plus fort. J'avoue que j'ai du mal à me remettre, non pas tellement de ce que j'ai vu, car dans ce film il n'y a pas grand chose à voir, mais de ce que j'ai entendu. On plonge dans le monstrueux au-delà de tout ce qui est imaginable. Je vais donner quelques exemples.
Un coiffeur, officiant en Israël, témoigne. Il fut déporté à Auschwitz. Là-bas, le direction du camp décida un beau jour de récupérer les cheveux des femmes, avant que celles-ci ne passent à la chambre à gaz. Il y avait deux raisons à cela. Avec les cheveux on devait pouvoir faire quelques objets manufacturés, peut être des coussins. Mais cette coupe de cheveux, avant un passage en chambre à gaz pouvait avoir pour effet de calmer ceux qui allaient subir ce martyr quelques minutes après. Dix sept coiffeurs opéraient donc. On les fit intervenir d'abord directement dans la chambre à gaz, dans laquelle ils pénétraient. Leurs "clientes" étaient assises sur des bancs. Ils n'avaient pas de tondeuses, mais seulement des peignes et des ciseaux. Il fallait que cette coupe ait l'air plausible. Ils consacraient deux minutes par cliente, temps qui permet à un bon professionnel de produire une coupe présentable.
Ce qui ressort sans cesse, de tous ces témoignages, et que nous avons du mal à imaginer c'est l'aspect "mise à mort à la chaîne". Quand les portes des chambres à gaz étaient fermée les gens étaient tués en une quinzaine de minutes, pas instantanément. A l'intérieur de la chambre à gaz les lumières étaient éteintes. L'endroit était alors le lieu de scènes horribles. Les gens se montaient les uns sur les autres. Les enfants avaient le crâne écrasé. Les gens, instinctivement, se pressaient vers les portes et à l'endroit où les cristaux de zyklon B tombaient un vide se créait, la où la densité de gaz était la plus forte. Des membres d'un "kommando", des détenus laissés provisoirement en vie récupéraient alors les corps pour les traîner vers les salles où étaient installées des batteries de fours crématoires. Très souvent des individus étaient encore en vie au moment de l'ouverture des portes et c'est encore vivants qu'ils étaient introduits, à moitié inconscients, dans les fours. Un membre de ces kommandos, survivant, témoigne :
- Quand on ouvrait les portes, les gens tombaient comme une masse compacte. Ils s'étaient au passage vidés de tout ce qu'ils contenaient. Ils avaient vomi, pissé et déféqué sous eux. Le sang s'écoulait de leur nez et de leur bouche. La chambre a gaz était vidée et nettoyée en quelques minutes (...) pour être prête à desservir aussitôt. Au début, nous avons essayé de prévenir les gens de ce qui les attendaient, bien que cela soit sévèrement interdit. Mais nous avons compris que cela ne ferait qu'accroître leurs souffrances de manière inutile aussi, quand nous les escortions, nous tentions de les rassurer par notre comportement et nos paroles.
Il poursuit :
- Un jour est arrivé à Auschwitz un contingent de milliers de déportés Hongrois. Fait étonnant, au lieu d'être immédiatement exterminés ils ont été conduits dans une enceinte à part, protégée par une clôture électrifiée. Les familles n'ont pas été séparées. Ils recevaient une bonne nourriture et étaient bien traités. On leur demandait seulement d'effectuer des travaux concernant leurs baraquements, des entretenir, de les enjoliver. On leur permit d'écrire à leurs familles et ils donnèrent ainsi des bonnes nouvelles pendant six mois. Mais nous savions qu'il avait été projeté d'exterminer le million de Juifs qui vivaient en Hongrie. Nous avons entrepris de le prévenir de ce qui se passait réellement dans le camp et nous avons eu toutes les peines du monde à convaincre un homme qui étaient devenu, par son ascendant, une sorte de guide pour cette communauté. Lors d'une entrevue qui se produisit quarante huit heures avant que tous soient conduits vers la mort nous lui avons proposé de conduire une révolte, au moment où ils seraient tous conduits vers le chambres à gaz et nous lui avons dit que s'ils se révoltaient, les hommes ders kommandos se joindraient à eux. Il a alors dit que cet acte lui semblait difficile à envisager, à cause des enfants. Je lui ai dit que de toute façon ceux-ci n'auraient aucune chance d'en réchapper. Il m'a alors demandé une heure pour réfléchir mais, quand je suis revenu, il s'était suicidé avec des barbituriques. Le moment est alors venu où tous les gens furent conduits vers les chambres à gaz, mais par opposition aux autres ils savaient ce qui allait se passer. Les Nazis déployèrent alors une violence inouïe pour les y conduire. Quand j'assistais à cette scène je décidais que continuer de vivre n'avait plus aucun sens et de me joindre à eux dans la chambre à gaz. Mais des hommes me poussèrent dehors en me disant "ne faites pas ça. Votre mort serait inutile. Restez au contraire vivant pour témoigner de ce qu'on a fait de nous".
On apprend qu'à Auschwitz où on exterminait jusqu'à 6000 personnes en une seule journée les chambres à gaz, souterraines, pouvant accueillir jusqu'à trois mille personnes à la fois. Elles étaient précédées par des vestiaires. On sait qu'on annonçait aux nouveaux arrivants, convaincus qu'ils étaient accueillis dans un camp de travail, dont l'entrée portait l'inscription :
Arbeit macht frei
" Le travail rend libre "
s'entendaient annoncer "qu'ils allaient passer à la désinfection". Dans les vestiaires ils devaient accrocher leurs affaires à des patères portant des numéros, "pour pouvoir les retrouver en sortant". La salle comportait des inscriptions écrites en différentes langues, disant "sois propre", " un pou peut tuer "etc.. Mais dès que les portes de la chambre à gaz se refermaient sur eux, les membres d'un kommando qui étaient présents quand ils arrivaient s'affairaient pour récupérer leurs vêtements et tout ce qu'ils avaient amené avec eux, qui était ramené à un étage supérieur par un ascenseur et trié par d'autres équipes. Les vestiaires, de plain-pied avec les chambres à gaz, étaient aussi souterrains.
Revenons au témoignage de ce coiffeur. Pendant qu'il développe son récit il coupe les cheveux d'un client. Son visage reste impassible. Soudain il évoque un souvenir qui remonte en lui comme une lame de fond.
- Il y avait parmi les coiffeurs des collègues que je connaissais. Soudain l'un d'eux a vu arriver sa femme et ses deux filles...
Et là, l'homme cale. Sa voix s'étrangle, ses lèvres trembles. Il fait des efforts terribles pour se maîtriser mais ne parvient pas à parler. Il supplie le réalisateur :
- Arrêtez, s'il vous plaît.
- Non, vous savez bien que vous devez dire tout cela. Nous avons besoin de votre
témoignage.
- Je vous en supplie....
- Non
Le coiffeur arrive à se contrôler et reprend :
- Mon ami a parlé à sa femme et à ses deux filles avec beaucoup de douceur. Il les a rassurées, leur a distribué des caresses et leur a souri jusqu'à ce que les portes de la chambre à gaz ne se referment sur elles.
Lanzman dit alors au coiffeur, qu'il continue de filmer :
- Et, quel a été votre sentiment lorsque vus avez été
témoin de cette scène ?
- Le mot sentiment n'avait pas de sens pour des gens qui étaient plongés
dans de pareilles situations. Des sentiments ? Nous n'en n'avions simplement
pas. Nous n'en avions plus.
Les images se bousculent dans ma tête. Différents endroits sont cités, tristement célèbres. Il y a Auschwitz, mais aussi Sobibor, Treblinka, et d'autres. Je retiens cette date : la " Solution Finale " a été élaborée dès 1941 et mise en oeuvre de septembre 1941 à janvier 1945. Mais pourquoi cette haine obsessionnelle contre ce peuple ? Qu'on mette des hommes et des femmes dans des camps où ils effectueraient des travaux forcés pourrait se comprendre. Les prisonniers travaillent pendant que les non-juifs sont au combat. Mais il s'agit là d'un geste totalement différent. Même les prisonniers politiques, les résistants ont un espoir d'échapper à la mort. Les Juifs, non. Dès 1941 le Troisième Reich met en route une usine destinée à tuer où seront exterminés six millions de Juifs. Mais ... pourquoi ? Ces gens ne constituaient pas une menace d'ordre intérieur. Beaucoup ne sont même pas motivés par le conflit mondial qui est en train de se jouer, comme s'ils ne se sentaient pas concernés. Qu'est-ce qui amène les Nazis à décider l'élimination physique de tout un peuple ? Car, on le voit dans le film, la chose est totalement programmée. Les Juifs allemands doivent être gazés et réduits en cendres, mais aussi les Juifs polonais, les Juifs hongrois, les Juifs de ... l'île de Corfou, qui apportent leur témoignage dans le film ( ils étaient mille sept cent au moment des événements ). L'élimination de tous les Juifs d'Europe a été soigneusement programmée, de longue date et c'est dès 1941 que la " Solution Finale " est décidée, à Berlin. Mais, une solution à quel ... problème ? Au "problème Juif ?". C'est ce racisme à l'état pur que nous ne parvenons pas à comprendre.
Je me souviens tout d'un coup que mon père s'appelait Bernard Lévy et était d'origine espagnole. Ma famille paternelle était "marane". C'est à dire qu'il s'agissait de juifs convertis au christianisme de longue date, à l'époque d'Isabelle la catholique, au XV° siècle, quand tout se résumait à deux choix : la conversion ou le bûcher. Dans le cas de ma famille paternelle la conversion fut complète. Quand je découvris, le jour de mes dix neuf ans, le véritable nom de mon père, au moment du "recensement", je partis à la découverte de ma famille paternelle et je découvris des ... catholiques bigots. Mon oncle Louis, technicien de l'aéronautique en retraite servait la messe à l'église du village pyrénéen où il s'était retiré.
J'ai le vague souvenir d'avoir porté, étant gamin, l'étoile juive cousue sur ma veste. Mais quelqu'un, ma mère sans doute eut la bonne idée de falsifier mes papiers et Petit est simplement son nom de jeune fille. N'ayant pas connu mon père, je restais dans l'ignorance de mon nom patronymique pendant dix neuf ans, jusqu'au jour où un recensement fut fait en France. Tous les jeunes de mon âge, de ma classe, reçurent des papiers leur demandant de confirmer leur identité. Pas moi. Un professeur me dit alors :
- Vous êtes ce qu'on appelle un "omis". Je vous conseille de vous mettre en règle en allant à votre marie de naissance, sinon ce que qui pourra vous arriver c'est qu'on vous convoque pour votre service militaire quand vus aurez vingt-cinq ans et cela vous compliquera la vie.
D'accord avec lui je pris alors un bus pour me rendre à la mairie de Choisy le Roi ( Hauts de Seine ) où un employé se mit en demeure de me trouver dans ses registres.
- Petit, jean-Pierre, né le 5 avril 1937... non, je ne trouve pas...
Nous essayâmes toutes les combinaisons possibles, pensant à une erreur lors de l'enregistrement. On changea de jour, de mois, d'année. Nous consacrâmes l'après-midi à essayer de trouver Jean-Pierre Petit dans ce fichu registre, en vain. Le soir je revins en annonçant à ma mère que j'étais inexistant dans les registres de ma mairie de naissance. Alors elle me donna plus de précisions sur ma véritable identité, que j'ignorais. A l'époque j'étais au Lycée Carnot, à Paris. C'était l'après-guerre et on n'avait jusque là jamais été trop regardant sur les identités, apparemment. J'y étais entré à l'âge de huit ans et depuis plus de dix ans mon dossier avait été reconduit sans que cela pose de problème. J'ose à peine imaginer ce qui se serait passé si un membre de la milice, ou simplement un voisin, avait appris qu'un Jean-Pierre Lévy habitait à telle adresse. J'aurais sans doute eu droit à un aller simple pour ce que les Nazis appelaient avec leur sens de l'humour bien connu "le chemin du ciel". Pour en finir avec ma propre histoire je dois dire que je me suis trouvé complètement à contre-pied, confronté à une famille paternelle assez étroite d'esprit, catholique bigote, et de plus s'appelant Lévy. Difficilement gérable, en France en tout cas. C'est sous le nom de Lévy que j'entrais donc à Supaéro où mes compagnons juifs me demandèrent aussitôt "si je suivais les cours d'hébreu" et "ce que je pensais du sionisme". J'ignorais la signification même du mot et je ne suis pas sûr, à l'époque, que j'aurais su localiser avec précision l'emplacement de la Palestine, aussi mystérieuse pour moi que l'Ukraine ou le Botswanaland. J'avais déjà assez de problèmes comme ça, ne serait-ce que matériels. Cette émergence de ce nouveau nom patronymique, complètement en porte-à-faux, ne faisait que me compliquer la vie. J'ai assez rapidement été frapper à la porte du Conseil d'Etat en disant :
- Est-ce que vous ne pourriez pas me donner un nom quelconque, Dupont,
Durand, n'importe lequel, je m'en fous. Mais "juif catholique" c'est
un peu compliqué pour moi à assumer
- Ecoutez, vous avez porté ne nom de Petit pendant tout ce temps. Le
plus simple est pour vous de continuer. On va vous arranger ça.
Ce qui fut fait. Un autre souvenir qui me revient en mémoire concerne un stand de tir d'Issy les Moulineaux, où nous allions nous exercer lorsque, étudiant à l'Ecole Supérieure de l'Aéronautiques, sise à l'époque Porte de Versailles à Paris je suivais la Préparation Militaire, obligatoire dans cette grande école, qui faisait de nous des officiers dès le début de notre service militaire. Je me souviens que ce stand avait été construit à partir d'un étrange bâtiment en béton dont les paris intérieures étaient recouvertes de quelque chose qui ressemblait à de l'amiante, recouverte de grillage. j'avais remarqué qu'en face de chaque maille il y avait, même près du plafond, une trace d'enfoncement de doigt et quelqu'un m'expliqua que, pendant la guerre, ce local avait fait l'objet d'essais de chambre à gaz et que ces traces correspondait aux doigts des victimes qui avaient tenté de grimper aux murs pour tenter d'échapper aux émanations mortelles. Je ne sais pas si quelqu'un pourrait me confirmer cela.
Revenons au film la Shoah. Tout ce qu'on entend est sidérant. Les gens chargés d'éliminer le peuple juif n'avaient pas de budget. Les objets saisis sur les victimes constituaient le financement de l'opération. L'armée allemande faisait appel aux services de la Reichbahn, au service régulier des trains allemands pour ses "convois exceptionnels". On y apprend qu'on trouve dans les archives nombre de pièces qui mentionnent le nombre de passagers à l'aller. Le prix du passage était acquitté en passant par les services d'une agence de voyage banale. Les Juifs "bénéficiaient du tarif des groupes". Ce qui est hallucinant c'est le rythme auquel se succèdent les convois de vingt à cinquante wagons. A propos de ces voyages ont trouve de tout. Il y a évidemment les voyages effectués dans les conditions les plus épouvantables, où les gens sont enfermés en étant serrés comme des sardines dans des wagons sur les toits desquels étaient juchés des gardes ukrainiens, avec une mortalité très importante. Pendant ces voyages, qui pouvaient durer jusqu'à cinq jours les passagers ne revaient rien à manger ni à boire. Quand ils arrivaient dans les camps ils n'avaient qu'une seule idée en tête : se désaltérer. Et c'est là qu'on apprend qu'il s'agissait d'un des éléments du plan. Quand ils arrivaient on disait à ces gens "vous allez passer à la désinfection. Après, on vous donnera une tasse de thé". Alors, ils se ruaient en courant dans les chambres à gaz.
Tout était machiavélique. Quand le rythme des arrivages permettait au Directeur du Camp de réunir les déportés et de leur parler il disait "quels sont ceux qui sont électriciens ?". Des mains se levaient et il ajoutait alors "bien, nous allons avoir besoin d'électriciens".
Après une telle harangue, il avait dit à un de ses subordonnés : " C'est comme cela qu'il faut procéder ". A d'autres moments, dans d'autres camps, comme Auschwitz le rythme d'arrivage des trains devenait tel que les nazis et leurs supplétifs devaient emmener les Juifs au pas de course en les accueillant à coup de fouet dès leur descente du train.
Ailleurs, vers Treblinka par exemple c'étaient des trains ordinaires, avec des compartiments non verrouillés qui amenaient les condamnés. Des Polonais se souviennent de train arrivant, transportant des gens qui appartenaient apparemment à des classes moyennes et qui regardaient tout tranquillement le paysage par les fenêtres. Lors d'un arrêt du train, un jour, un des voyageurs était descendu et il avait du courir pour reprendra sa place dans son compartiment. Des paysans se souviennent qu'ils avaient tenté d'expliquer, par gestes ou à l'aide de quelques mots à ces gens le sort qui leur était réservé mais qu'en aucun cas ceux-ci n'avaient compris ce qu'ils tentaient de leur dire.
Dans le film, un survivant, membre d'un kommado affecté au crématorium parle d'une femme qui avait soudain reconnu parmi les membres de l'équipe qui les guidait vers les vestiaires un de ses proches qui lui avait alors dit quel sort allait lui être réservé. Elle l'avait alors cru et avait tenté de convaincre les membres de son groupe de déportés. Elle s'était d'abord adressé aux femmes qui arrivaient en portant souvent leurs enfants en bas âge sur leurs épaules. Mais aucune n'avait voulu la croire. Elle était alors allée vers les hommes et n' avait pas eu plus de succès. L'ensemble du groupe avait alors pris le chemin de la mort, docilement, comme s'ils n'avaient rien entendu. Les Nazis se saisirent d'elle et se mirent alors à la torturer pour lui faire avouer quel était le nom de l'homme qui l'avait avertie. Elle finit par avouer avant d'être tuée d'une balle dans la tête. Les Nazis entraînèrent alors l'homme qu'ils ligotèrent et le mirent, vivant, dans un des fours, en disant aux autres :
- Si vous parlez, voici ce qu'on fera de vous.
Je crois que personne ne peut imaginer ce qui s'est passé là-bas. Quand les rescapés témoignent des coups qui étaient portés par les gardes, Nazis ou supplétifs, à longueur de journée on imagine que ceux-ci, le soir, devaient avoir les membres rompus à force d'avoir fait cela. Il y a quelque chose à comprendre : pourquoi des gens sont-ils tombés dans une telle violence ? Je pense qu'il n'y a pas d'éthnie spécialement prédisposée. Dans un futur dossier que j'installerai, qui sera consacré à la Guerre d'Algérie on pourra voir que n'importe quel homme, fut-il Français ou issu de n'importe quelle nationalité ou ethnie est susceptible de se transformer en tortionnaire. En fait, ce qui apparaît, c'est la banalisation de la souffrance et de la cruauté. Le système des valeurs autour duquel un individu organise son mental est beaucoup moins solide qu'on ne le croît.
Ce qui frappe c'est également la difficulté qu'on les gens à imaginer l'inimaginable. Si l'acte est totalement monstrueux, alors il devient résolument non-crédible. Nous avons dans nos têtes des normes morales qui nous interdisent d'envisager certaines choses. Bien sûr, nous savons que toutes les déviances peuvent exister, mais nous le considérons comme des exceptions qui seraient le fait d'individus et non de groupes importants. Il est très difficile d'imaginer que mille hommes puissent devenir des monstres et que parmi eux cet état puisse devenir une "normalité". Le lecteur sait que, dans mon site, j'évoque diverses hypothèses que beaucoup ont encore du mal à envisager et qui pourtant doivent être très sérieusement prises en considération. Serait-il possible qu'un groupe d'hommes ait froidement manipulé des groupes extrêmistes, voire organisé des simulacres d'attentats amenant la mort de trois mille de leurs semblables aux fins de justifier "d'une guerre sans merci contre le terrorisme". Serait-il possible qu'un phénomène naturel ait pu être déclenché, amenant la mort trois cent mille personnes ?
Je n'affirme rien, je dis seulement que des gens qui ont été capables d'exposer leurs jeunes recrues à des radiations nucléaires, à une distance modérée d'une explosion ou de leur faire injecter du plutonium ( l'ordre ayant été cosigné par le scientifique Oppenheimer ), en toute connaissance de cause, je dis que ces gens sont capables de n'importe quoi.
Troupes américains rassemblées au Nevada pour un essai sur les effets d'une irradiation
Autre expérience de ce genre ( les photos sont extraites de Life Magazine 1951 )
Il s'agit d'une explosion nucléaire de 21 kilotonnes (deux fois Hiroshima) réalisée à Yucca Flat, dans le désert du Nevada. Le but était de tester l'effet des radiations sur l'organisme humain. La bombe est larguée depuis un bombardier B50 à 12 km et les hommes, des soldats du 1° bataillon du 188° régiment de parachutistes, qui ont reçu l'ordre de se coucher au moment de l'explosion pour ne pas être projetés au sol par le souffle, puis de se relever et de regarder le nuage. Nul ne sait ce qu'il est advenu de ces hommes.
Le film de Lanzmann est un cauchemard sans fin. Parmi les séquences que j'ai pu voir l'une d'elle montre l'auteur interviewant des Polonais et des Polonaises vivant dans un village d'où les juifs avaient été totalement exterminés, non pas en les raflant et en les emmenant dans des camps mais en les tuant pratiquement sur place, au su et au vu de tous. Le système utilisé était alors un camion de déménagement modifié, fabriqué par une firme qui produit toujours des camions dans l'Allemagne de l'après-guerre. Le gaz utilisé était alors simplement ce gaz d'échapement du moteur. Les Juifs étaient pris dans leurs maisons, puis enfermés dans l'église. La camion venait alors se mettre en marche arrière contre les portes de celle-ci et les Juifs étaient contraints à pénétrer dans le véhicule à coup de fouet et de matraque. Deux cent pouvaient alors y prendre place, serrés les uns contre les autres. Comme indiqué dans une notice technique "il était recommandé de faire en sorte de l'agencement de la 'marchandise" dans le camion laisse le moins de volume libre disponible, sinon celui-ci aurait du être occupé par les gaz d'échappement. Ainsi le "traitement" de cette marchandise aurait été moins efficace". Les camions roulaient à vitesse modérée jusqu'à une forêt distante d'une dizaine de kilomètres. Quand ils arrivaient les morts étaient déchargés et entassés dans des fosses communes. Ceux qui n'étaient pas tout à fait morts étaient ensevelis vivants.
Lanzmann interroge les Polonais vivant dans le village. Ils habitent de coquettes maisons.
- Elle est fort jolie, la maison que vous occupez là.
L'homme sourit de toutes ses dents
- Oui, nous y sommes bien.
- Mais, dite-moi, quelles sont ces étranges inscriptions, sur les volets
de bois ?
- Cette maison appartenait à des Juifs. Après leur départ
elle nous a été attribuée.
- Cela ne vous gêne pas que les Juifs soient ainsi partis ? Vous savez
ce qu'il est advenu d'eux.
- Oui, nous le savons, mais nous ne nous sentons pas concernés. Quand
ils vivaient ici ce sont eux qui détenaient toutes les richesses. Avant,
j'étais valet de ferme. Maintenant j'ai un magasin d'oeufs et je vis
mieux.
Un peu plus loin Lanzmann tombe sur un groupe de Polonaises. Elles rient et son visiblement ravies d'être filmées.
- Le départ des Juifs ne vous a pas contrariées ?
- Non. Les Juives étaient assez jolies et elles tournaient la tête
à nos hommes. Maintenant qu'elles ne sont plus là on est plus
tranquilles.
Dans le village se trouve un Juif qui y est revenu vivre. On apprend qu'il avait treize ans quand ces massacres avaient été perpétrés et que ses parents avaient été tués. Il passait souvent avec des fers aux pieds, chantant une chanson que les Allemands lui avaient apprise. Interrogé, il dit, en conservant un visage inexpressif :
- Pour moi toutes ces choses semblaient naturelles pour la bonne raison que je n'avais jamais connu autre chose. Depuis que j'étais né je voyais des morts dans les rues chaque matin et je voyais des gens se faire tuer. Je ne rêvais que d'une seule chose : que tout le monde meure pour que je reste seul.
On sait qu'on pourrait raconter des histoires de ce genre à l'infini, jusqu'à la lassitude complète, la saturation. Dans les camps d'extermination ces évènement faisaient partie du quotidien. C'est la raison pour laquelle il est difficilement supportable de voir des gens comme Le Pen entreprendre périodiquement de défrayer la chronique avec des déclaration déshonorante faites, concernant ces faits. Comme il est choquant de voir qu'un membre de la famille royale d'Angleterre a pu paraître dans une fête costumée avec un brassard portant une croix gammée.
Les mouvement d'extrême-droite n'ont jamais disparu et ont continué dans de nombreux pays à se réclamer de ce symbole ou de symboles similaires. Ceci nous montre que le mal est profondément enraciné, partout et que l'horreur ne demanderait qu'à exploser de nouveau. Nos médias et nos industriels contribuent à enraciner dans l'esprit des gens et spécialement des jeunes des images qui peuvent se révéler fécondes à tout moment.
Le 27 janvier 1945, il y a soixante années les Juifs prisonniers du camp d'Auschwitz furent libérés par l'avance des Soviétiques. Cet anniversaire doit être une occasion de nous souvenir de quoi l'être humain est capable. Il serait vain et dangereux de penser que de telles choses ne sont plus envisageables aujourd'hui. Il n'est pas impossible que nous soyons en train de courir, avec une échéance de moins de dix années, vers une situation planétaire pire encore que celle-là. Pour qui sait voir, tous les signes avant-coureurs sont réunis.
Parfois, le sceptique, c'est celui qui ne se doute de rien
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