Discours du Sénateur Robert Byrd du 12/2/2003
Mis en ligne le 14 mars 2005
Il s'agit de l'intégralité du discours dont la vidéo mise en ligne sur le site.
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Une autre version française, qui fait peut être double emploi ( je suis submergé ) mais l'essentiel est que ce texte soit accessible en français.
Le Sénateur Robert Byrd des USA
Discours devant le Sénat
Nous nous tenons passivement muets
Mercredi 12 Février 2003
Envisager la guerre, c'est penser à la plus horrible des expériences humaines. En ce jour de février, alors que cette nation se tient à deux doigts de la bataille, chaque Américain se doit d'envisager les horreurs de la guerre.
Cependant, cette Chambre est, dans sa plus grande majorité, silencieuse – sinistrement et terriblement silencieuse. Il n'y a aucune discussion, aucun débat, aucune tentative de présenter à la nation le pour et le contre de cette guerre. Il n'y a rien.
Nous nous tenons passivement muets au Sénat des États-Unis, paralysés par notre propre incertitude, apparemment assommés par le tumulte des événements. Il n'y a que dans les éditoriaux de nos journaux qu'on trouve une réelle discussion sur la sagesse ou l'imprudence de s'engager dans cette guerre.
Et ce n'est pas un petit incendie qui se profile. Il ne s'agit pas d'une simple tentative de neutraliser un ennemi. Non. La bataille qui vient, si elle a lieu, représente un tournant dans la politique étrangère des États-Unis, et probablement un tournant dans l'histoire récente du monde.
Cette nation est sur le point de s'embarquer dans l'expérimentation d'une doctrine révolutionnaire appliquée d'une manière extraordinaire à une époque bien mal choisie. La doctrine de la préemption – l'idée que les Etats-Unis ou n'importe quelle autre nation puisse légitimement attaquer une nation qui ne constitue pas une menace imminente, mais qui pourrait en devenir une dans le futur — est vraiment une nouvelle perversion de la conception traditionelle de la légitime défense. Elle semble être en violation du droit international et de la charte de l'ONU. Et elle est expérimentée à une époque où le terrorisme est mondialement répandu, faisant craindre à de nombreux pays de se trouver prochainement sur notre liste noire, ou celle d'une autre nation. Des personnages de la haute administration ont récement refusé d'exclure a priori les armes nucléaires des plans d'attaque de l'Irak. Qu'est ce qui pourrait être plus déstabilisant et imprudent que ce genre d'incertitudes, en particulier dans un monde où la mondialisation a lié si intimement les intérêts vitaux économiques et de sécurité de nombreuses nations? D'énormes fissures apparaissent dans nos aliances scellées de longue date, et les intentions américaines font soudain l'objet de spéculations préjudiciables venant de toutes parts. L'Anti-Américanisme qui naît de la défiance, de la désinformation, de la suspicion et de la rhétorique alarmiste des dirigeants des États-Unis est en train de briser la solide aliance contre le terrorisme global qui existait après le 11 septembre.
Ici à la maison, les gens sont mis en garde contre d'imminentes attaques terroristes, mais avec peu d'indications sur quand et où de telles attaques pourraient se produire. Pères et fils sont appelés sous les drapeaux, sans savoir la durée de leur séjour ni les horreurs auxquelles ils pourraient être confrontés. Des communautées se retrouvent avec des forces de police et de pompiers insuffisantes. D'autres services essentiels sont également en pénurie de personnel. Le moral de la nation est sinistre. L'économie vacille. Le prix des carburants monte et risque de bientôt bondir encore plus haut.
Ce gouvernement, maintenant au povoir depuis un peu plus de deux ans, doit être jugée sur son bilan. Je pense que ce bilan est lamentable.
En deux petites années, ce gouvernement a dilapidé l'énorme
excédent prévu de quelques 5600 milliards de dollars pour la prochaine
décénie, et nous a entraîné dans une situation déficitaire
pour aussi loin qu'on puisse prévoir.
Ce gouvernement a adopté des règlements qui ont ralenti la croissance
économique. Ce gouvernement a délaissé des problèmes
urgents, tels que la crise du système de soins aux personnes agées.
Ce gouvernement a tardé à financer correctement la sécurité
de la patrie. Ce gouvernement a traîné le pieds pour renforcer
la protection de nos frontières longues et poreuses.
En ce qui concerne la politique étrangère, ce gouvernement n'a pas réussi à trouver Ousama Ben Laden. En fait, nous l'avons entendu pas plus tard qu'hier harranguer ses troupes et les appeler à tuer. Ce gouvernement a cassé les aliances traditionelles, risquant de paralyser, pour toujours, des organisations internationales de maintien de l'ordre telles que les Nations Unies et l'OTAN. Ce gouvernement a remis en question la perception traditionelle et internationale des États-Unis comme un gardien de la paix, bien intentionné. Ce gouvernement a changé l'art délicat de la diplomatie en menaces, insultes et diffamations, qui sont le lamentable reflet du peu d'intellignece et de sensibilité de nos dirigeants. Cela aura de lourdes conséquences pour les années à venir.
Traiter des chefs d'états de pygmées, qualifier des pays entiers de maléfiques, dénigrer et mépriser l'opinion de puissants alliés européens, ce type d'insensibilités grossières ne peuvent être bonnes pour notre nation. Nous avons peut-être une puissance militaire massive, mais nous ne pouvons pas mener seuls une guerre globale contre le terrorisme. Nous avons tout autant besoin de la coopération et de l'amitié de nos alliés de longue date, que de celles des nouveaux amis que notre richesse a attiré. Notre impressionante machine militaire nous sera de peu d'utilité si nous subissons sur notre sol une nouvelle attaque dévastatrice qui nuise gravement à notre économie. Nos effectifs militaires s'amenuisent et nous aurons besoin de l'appui renouvellé de ces nations qui peuvent fournir des forces armées, au lieu de se contenter de signer des lettres d'encouragement.
Jusqu'à présent, la guerre en Afghanistan nous a coûté 37 milliards de dollars, et pourtant il y a des signes que le terrorsime serait déjà en train de ré-investir cette région. Nous n'avons pas trouvé Ben Laden, et à moins que nous établissions durablement la paix en Afghanistan, les repaires de terroristes refleuriront dans ce pays lointain et dévasté.
Le Pakistan également est menacé par des forces de déstabilisation. Ce gouvernement n'a pas terminé la première guerre contre le terrorisme que déjà il est impatient de s'embarquer dans un autre conflit, avec des risques bien plus grands qu'en Afghanistan. Avons-nous la mémoire si courte? N'avons-nous pas appris qu'après avoir gagné la guerre, on doit toujours stabiliser la paix?
Et pourtant on n'entend pas grand chose au sujet de l'après-guerre en Irak. En l'absence de plans, les spéculations à l'étranger vont bon train. Nous allons nous emparer des champs de pétrole irakiens, nous allons devenir une puissance occupante qui contrôlera le prix et les approvisionements de pétrole de cette nation pour une durée indéterminée. À qui proposons-nous de remettre les rênes du pouvoir après Saddam Hussein?
Notre guerre va-t-elle enflammer le monde musulman et engendrer des attaques dévastatrices sur Israël? Israël répondra-t-il avec son arsenal nucléaire? Les gouvernements Jordaniens et Saoudiens seront-ils renversés par des radicaux, soutenus par l'Iran, qui est beaucoup plus lié au terrorisme que l'Irak?
Une interruption de l'approvisionnement en pétrole conduira-t-elle à une récession mondiale? Notre langage incensé et belliqueux et notre insensible mépris des intérets et opinions d'autres nations ont-ils relancé la course à l'entrée dans le club nucléaire, et rendu la prolifération encore plus lucrative pour des pays qui ont besoin ressources financières?
En seulement deux petites années, ce gouvernement insouciant et arrogant a initié une politique qui pourrait engendrer des conséquences désastreuses pour longues des années.
On peut comprendre la colère et le choc de n'importe quel Président après les attaques sauvages du 11 septembre. On peut imaginer la frustration de n'avoir qu'une ombre à chasser et un ennemi amorphe et insaisissable, à qui il est presque impossible d'infliger un châtiment.
Mais transformer sa frustration et sa colère en ce genre de débâcle de notre politique étrangère, extrèmement déstabilisante et dangereuse et dont le monde entier est témoin, c'est inexcusable de la part d'un gouvernement ayant l'incroyable puissance et responsabilité de diriger la plus grande superpuissance de la planète. Franchement, de nombreuses déclarations faites par ce gouvernement sont indignes. Il n'y a pas d'autre mot.
Et pourtant cette chambre reste obstinément silencieuse. Nous sommes peut-être à la veille d'infliger la mort et la destruction à la population de l'Irak – une population, ajouterais-je, dont la moitié à moins de 15 ans – et cette Chambre est muette. Peut-être plus que quelques jours avant que nous envoyions des milliers de nos citoyens affronter les horreurs inimaginables des armes chimiques et biologiques – et cette Chambre reste muette. Nous sommes peut-être à la veille d'une vicieuse attaque terroriste en représailles de notre attaque de l'Irak, et tout va comme d'habitude au Sénat des États-Unis.
Nous traversons l'Histoire comme de vrais somnambules(1). Au plus profond de mon coeur je prie pour que cette grande nation et ses citoyens, bons et confiants, n'aient pas à subir le plus rude des réveils.
S'engager dans une guerre, c'est toujours jouer un joker. Et la guerre doit toujours être la dernière solution, pas le premier choix. Je dois réellement mettre en question le discernement de tout Président qui peut dire qu'une attaque militaire, massive, non provoquée, d'une nation composée à plus de 50% par des enfants est « dans la plus haute tradition morale de notre pays ». Cette guerre n'est pas nécessaire à l'heure actuelle. Les pressions semblent donner de bons résultats en Irak. Notre erreur a été de nous acculer nous-mêmes dans un coin. Notre défi est de trouver un moyen de nous sortir élégament de cette boite que nous avons nous même construite. Peut-être y-a-t-il un moyen, si nous nous donnons plus de temps.
(1)« sleepwalking through history » c'est une citation dont je n'ai
pas encore trouvé la source. C'est le titre d'un bouquin sur «
les années Reagan », mais ça ne m'étonnerait pas
que ce soit une citation d'un président célèbre.
On cherche quelqu'un qui puisse traduire. Contact
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