L'essai raté Béryl d'In Ekker
(Sahara, mai 1962)

 

La bombe ne dégagea par 20 kilotonnes, mais 50. Les portes blindées cédèrent

 

Le premier mai 1962 les Français ont effectué un essai nucléaire souterrain à In Ecker, au Sahara. Pierre Messemer et Gaston Palewski, ministres, étaient présents (Messmer était à cette époque ministre de la défense). Le tir fut effetué dans une galerie creusée dans un montagne, en forme de spirale, bouchée par du béton armé par des poutrelles métalliques. Un système avait été aménagé pour permettre à des fils conduisant à des instruments de mesure de passer. Lors de l'explosion le système d'obturation de cet orifice céda et il y eut rejet de matériaux radioactifs à l'extérieur. Ces photos ont été prises quelques instants après la mise à feu.

Au premier plan, des observateurs munis de caméras, portant des tenues de protection des plus sommaires. Deux ont la tête découverte. Ils ne sont pas équipés de masques. La vent rabattit le nuage vers les présents, le phénomène déclenchant une véritable panique. Messmer qui, étant donné la température ambiante avait refusé tout équipement, prit la fuite en voiture mais son chauffeur, au moment où la voiture traversait le nuage radioactif, laissa en fonctionnement l'air conditionné. Les deux ministres furent irradiés. On ne dispose pas du bilan exact de l'accident mais ces photographies donnent une idée de l'importance des rejets.

J'ai hésité à mettre ces photos dans mon site, car elles m'avaient été envoyées il y a deux ans par un expéditeur inconnu. Je ne savais pas si ces clichés pouvaient encore être frappés d'une interdiction de diffusion pour cause de secret défense plus de quarante années près l'essai de 1962, ce qui aurait pu être un prétexte de fermeture de mon site en vertu de clauses de la loi LEN. Mais le film fut par la la suite montré sur France2 lors d'une émission " Irradiés pour la France" en 2005. Voici donc ces clichés :

 

 

Il y a quelque chose qui a foiré .....

 

Témoin

Heureusement, je suis équipé....

 

essai beryl

La montagne, complètement cachée par le nuage de matière radioactive

 

Un tunnel en forme de colimaçon avait été, aux dires mêmes de Messmer, creusé dans une montagne de granit. Plus exactement, une galerie en forme de colimaçon terminait une galerie rectiligne longue d'un kilomètre, terminée par un bouchon de béton. L'obturation lâcha et une énorme masse de débris radioactifs fut éjectée. Messmer déclara avoir été irradié, mais vit toujours ( il a 89 ans ). Gaston Palewski mourut d'une leucémie en 1984. Messmer confirme que Palewski fut toujours persuadé d'avoir contracté son cancer à la suite de son irradiation. Les documents projetés et les témoignages recueillis qui furent présentés lors de cette émission son éloquents. Qu'il s'agisse du Sahara ou de Mururoa aucune précation n'était prise pour veiller à la sécurité des militaires. Ceci tranchait avec les précautions prises par les civils, travaillant pour le compte du CEA. Lors des explosions aériennes au Sahara on envoya un hélicoptère survoler le "point zéro" quelques minutes après l'explosion, sans que celui-ci ne soit équipé de capteurs. On envoya aussi un char évoluer au dessus de ce terrain vitrifié par la boule de fe , sans qu'il soit non plus doté de moyens de mesure et que ses servants soient équipés de tenues de protection. Comme commente simplement Messmer, Ministre des Armées à l'époque : " les Américains et les Russes faisaient pareil, alors on faisait comme eux ".

Le pilote de l'hélicoptère devint aveugle. Pire encore, après l'explosion souterraine d'In Ecker on envoya de simples soldats "recueillir des échantillons dans le tunnel en forme de colimaçon". Ceux-là ne firent pas de vieux os. Leur système immunitaire ayant été atteint on dut les placer sous atmosphère stérile et leurs familles ne furent pas autorisées à les approcher. Lors de l'émission de France 2 où Messmer était présent sur le plateau se trouvait également la veuve d'un de ces soldats, rapidement décédé. Elle mentionnait entre autre le fait qu'elle avait n'avait pas pu bénéficier d'une pension de veuve de guerre, mais que son époux avait été "mis à la retraite à 32 ans". Pendant le même temps un colonel avait bien insisté pour que le secret le plus absolu soit gardé concernant cette affaire "pour des questions de Défense Nationale". Cette pauvre femme, lors de cette émission, réclamait simplement que la mention "mort pour la France" soit mentionnée, concernant son défunt mari.

A aucun moment, concernant tout cet ensemble de faits la journaliste de France 2 ne posa à Messmer la question qui aurait du être ainsi formulée :

- Enfin, monsieur Messmer, vous étiez Ministre de la Défense Nationale en 1962. Vous l'étiez depuis 1960. Vous étiez donc bien au courant de tous ces faits en 1962, non ?

La question était beaucoup plus "molle :

- Monsieur Messmer, face à ces témoignages, votre réaction ?

L'épouse du soldat décédé " sut aussi très bien se tenir" ( sinon son intervention aurait été coupée au montage, comme le furent toutes celles que je pus faire à la télévision, concernant la question des essais nucléaires souterrains ). A propos de cette demande de mention l'ancien ministre fit cette réponse :

- Madame, pour que celle-ci figure sur l'acte il faut que le décès se soit produit en tant de guerre. Or ça n'était pas le cas. Pour qu'elle figure sur les états de service de votre époux il faudrait modifier la loi, ce qui n'est pas de mon ressort.

Un soldat ayant travaillé à Mururoa témoigne :

- Nous n'étions protégés de rien. Un jour j'ai vu des employés du CEA venir nettoyer des éléments métalliques au bord du lagon intérieur où nous étions en train de nous baigner. Il portaient des combinaisons qui leur couvraient tout le corps, et des masques. Ils nettoyèrent ces pièces avec une sorte de mousse que le vent entraîna vers nous, flottant sur l'eau du lagon. A aucun moment ils ne nous avertirent d'un danger quelconque.

Les essais nucléaires relèvent du secret défense. Il était donc impossible d'en faire état avant un délai de prescription de 60 ans. L'adjudant chef Jacques Muller, marié et père de cinq enfants, àgé aujourd'hui de 67 ans témoigne. Il a passé trente trois ans comme pilote d'hélicoptère dans l'Alat, aviation légère de l'Armée de terre. Il était présent lors de cet essai raté, effectué au voisinage de la base d'In Amguel. Il est frappé de cécité depuis 1987 et est persuadé que cette dégradation de son état est lié à son irradiation. Il a cherché des témoins et a finalement obtenu que Pierre Messmer, ancien ministre des armées et présent lors du titre soit entendu au titre d'une commision rogatoire.

Le témoignage de Pierre Messmer, du 5 décembre 1995 :

   J'ai été présent à In- Amguel en Algérie entre le 16 avril et le 14 mai 1962 pour assister à des essais nucléaires (...) J'étais accompagné de M. Gaston Palewski, lui même ministre de la recherche. Un incident est survenu à l'occasion d'un tir souterrain (...) entraînant une fuite de gaz et des poussières radioactives (...) Immédiatement, les personnels exposés ont été ramenés à la base vie et le soir, l'ensemble des personnes présentes sur le site, y compris les deux ministres, ont été soumis aux mesures habituelles de décontamination ainsi qu'à une visite médicale. Les vêtements ont été incinérés. Je me souviens que 4 ou 5 personnes ont été évacuées en métropole mais leur cas ne paraissait pas alarmant. Je ne saurai vous en dire davantage. Je précise à cet égard que l'ensemble des opérations de tirs nucléaires de cette époque sont toujours classifiés secret-défense.

L'ancien ministre du général de Gaulle déclarera un peu plus tard devant les caméras de la TSR en livrant d'autres précisions sur cette journée du 1er mai 1962:

   Nous étions en face d'une pollution extrêmement grave (...) et le vent a tourné d'un seul coup dans notre direction ». M. Messmer poursuit en admettant qu'il y a eut « beaucoup de problèmes d'organisation » et « une certaine panique ». Un témoignage qui recoupe précisément ceux des autres personnes présentes ce jour-là à In- Amguel, dont Jacques Muller, mais aussi, Gaston Palewski. L'ancien ministre de la recherche décédé quelques années plus tard d'une leucémie, a toujours soutenu que le mal qui le terrassait, était la conséquence directe de cet accident nucléaire.

Le témoignage de Jacques Muller (qui avait 25 ans à l'époque des faits) :

  On nous avait convié à venir assister à cet essai. Ça va être joli, nous avait-on expliqué. Nous étions en short et en chemise. Mais lorsque l'explosion s'est produite, une énorme flamme horizontale s'est échappée de la montagne face au PC de commandement (...) ... Alors là, je peux vous dire que l'exode de 1940 à côté, c'était rien. C'était la panique totale, le sauve qui peut général.

Le film montre une masse de témoignages de proches de militaires qui furent mêlés à des essais nucléaires, ce qui se termina rapidement par leur décès par cancer. Un officier avait été chargé de faire des prélèvement d'eau, en plongée, sur les lieux mêmes d'explosions souterraines sans combinaison protectrice est aujourd'hui décédé d'un cancer. Ailleurs on voit des pilotes de " Vautours", biréacteurs de l'aéronavale, chargés de foncer à travers les nuages radioactifs, immédiatement après les explosions, pour y faire des prélèvements. Aucun système de mesure de radioactivité à bord des avions, aucun dispositif de protection, si ce n'est des "pare-soleil" pour éviter d'être éblouis par les lueurs. Quand les avions se posent sur le porte-avion, les marins les manipulent à mains nues. L'aberration est partout.

Face aux témoignages des irradiés, Messmer joue les étonnés :

- Je trouvais étrange que les soldats ne bénéficient pas des mêmes mesures de protections que les civils (...).

Pressé de questions par la journaliste il finira par lâcher :

- J'avoue que dans ce cas cité "ils" ont été sans doute un peu imprudents.

 


 

Un témoignage sur l'essai Béryyl d'In Ecker : http://resosol.org/Gazette/1985/6768p02.html

Liste des accidents nucléaires dans le monde : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_accidents_nucl%C3%A9aires

Tout est pour le mieux dans le meilleur des nucléaires militaires possible. Le rapport de la commission du Sénat

 


 

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