Lithographie
Lithos, en Grec : pierre. La lithographie
est une technique d'impression qui a connu son apogée au
dix-neuvième siècle et qui utilise les propriété d'une pierre dite
"lithographique", que l'on trouve en Allemagne. Le procédé est
très original. Dans la sculture sur bois, une des premières qui
ait été pratiquée, on se contente de creuser toutes les parties
qui ne doivent pas être encrées. Puis, une fois que le travail a
été achevé, on encre avec un rouleau, ou un tampon de tissu imbibé
d'encre, et on plaque le tout sur du tissu, du parchemin, du
papier. Mais on se rend bien compte que cette technique reste très
limitée. On ne peut faire que des à-plats et la finesse de lignes,
de "traits" reste très limitée. Avec la lithographie, on va
procéder en créant un matrice par "chimio-abrasion", procédé qui
sera décrit plus loin. Je l'ai beaucoup pratiqué et dès que cela
sera possible, j'inserrerai quelques images de lithos réalisées il
y a .. quelques décennies par votre serviteur. La presse
lithographique est visible sur le dessin ci-après. Au passage,
j'en suis l'auteur et il s'agit alors d'un exercice de dessin à la
plume, avec hachures. Le rendu de l'écran, ou de votre imprimante,
ne vous permettra pas d'en distinguer toute la finesse. Peu
importante.
Que distingue-t-on sur cette illustration ?
De dos, le lithographe est en train de préparer ses encres, ou plutôt son encre, car chaque passe d'impression est monochrome. Au premier plan, devant cet homme : une pierre lithographique, en place sur la presse. Deux autres sont posées verticalement, le long de cette machine que l'on surnomme "bête-à-cornes". En regardans bien, vous verrez que la pierre lithographique, d'une épaisseur et d'un poids respectables semble posée sur un chariot. Celui-ci, guidé par des rails latéraux, peut se déplacer longitudinalement. Ici de la droite vers la gauche du dessin. La pierre est calée sur son chariot de fer. Celui-ci est fixé à une courroie qui va s'enrouler sur un tambour solidaire de l'axe de la roue étoilée visible à gauche sur l'arrière-plan. Le procédé d'impression peut être évoqué en faisant l'expérience suivante. Prenez deux feuilles de papier. Sur l'une dessinez quelque chose avec un crayon bien gras. Puis placez ce dessin contre une feuille vierge, comme undiqué ci-après :
La main gauche, pressant fortement les deux feuilles l'une contre l'autre, simule le "couteau", visible sur le dessin à la plume en position relevée, avec son ergot d'accrochage. En vous aidant de votre main droite, vous tirez ensemble les deux feuilles. Lors de son passage sous le "couteau" le crayon gras de la première feuille sera pressé sur l'autre et y imprimera son tracé.
Le procédé est analogue en lithographie. Après que la pierre ait été encrée (on verra plus loin comment) on dépose sur celle-ci une feuille de "papier à la cuve", c'est à dire d'un papier de qualité supérieure, assez épais, fabriqué avec des chiffons. Ce papier est préalablement humecté d'eau pour le rendre plus mou. Sur cette feuille on dispose une plaque de feutre, puis un cuir épais, graissé et enfin on rabat le couteau, lequel se trouve pressé par un dispositif non visible sous cet angle. Comme le lithographe est censé imprimer, à la file, de vingt à cent épeuves, il ne saurait perdre du temps en assurant le serrage à l'aide d'une vis. Celui-ci est donc obtenu en agissant sur une pédale, donnant un fort bras de levier, dont on distingue le mécanisme à gauche, à l'arière-plan. La pédale étant rabattue et coincée le lithographe va donc manoeuvrer la roue visible sur la gauche, qui a donné son nom à cette machine. Pour ce faire il s'aide de ses bras et de éventuellement de ses pieds. Il est capital que la vitesse d'avancement de la pierre soit la plus régulière possible, sinon tout à-coup se traduirait par une variation locale de la qualité de l'encrage. Dès que la pierre est à fond de course, l'opérateur dégage la pédale, relève le couteau, ramène prestement la pierre à sa position de départ et la prépare pour une nouvelle passe. Pour ce faire il saisit les feuilles avec des petites pinces métalliques, pour éviter de les salir avec ses doigts. Son assistant les suspendra à un fil pour que le tout sèche. Juste au dessus de la signature, au premier plan on distingue deux rouleaux encreurs, qu'on utilise comme des rouleaux à pâtisserie.
La question en suspens est : comment grave-t-on ces pierres ? On les polit d'abord, par paires. Pour ce faire on dispose deux de ces lourdes pierres, face à face, et on les frotte l'une contre l'autre, en les manoeuvrant à la main en utilisant du sable comme abrasif. Du sable, et de l'eau. On va ainsi donner à ces pierres un grain, lequel dépendra de la granulométrie du sable utilisé. Sable à gros grain : pierre rugueuse, et vice-versa. Si on encrait alors la pierre telle qu'elle sort de son banc elle se recouvrirait d'encre de manière uniforme. Utilisée sur la bête à corne, elle déposerait sur une feuille de papier une couche d'encre toute aussi uniforme.
L'artiste se retrouve alors face à la pierre avec un crayon lithographique qui est un crayon très gras. Avec celui-ci, il dessine alors sur la pierre. Dessiner au crayon, c'est recouvrir plus ou moins une feuille de papier avec un produit opaque, issu de la maine de l'outil. Si on appuie fortement, on obtient un trait bien noir. Avec une pression plus faible, on obtiendra un gris, de plus en plus léger, la limite du visible. Mais qu'est-ce qu'un trait gris ? An astronomie, l'albedo, qui varie de zéro à 100 % est la capacité à renvoyer la lumière. Un objet "noir" est simplement un objet à albédo nulle, ou voisine de zéro. Un objet "blanc" aura une albedo élevée. La feuille de papier blanc renvoit la lumière incidente, en n'en absorbant qu'une faible partie. Elle ne se comporte pas comme un miroir car cette lumière est renvoyée dans toutes les directions. La mine de crayon, bien noire, est constituée d'une produit à albédo très faible. En recouvrant cette feuille avec de la mine de crayon, on diminue la valeur locale de l'albedo. Bref, on peut dessiner au crayon sur une pierre lithographique exactement comme on dessinerait sur une feuille de papier d'une couleur grise claire. Le grain de la pierre évoquera le grain des différents papiers que l'on peut trouver dans le commerce : Bristol, Ingres, Canson..
Le lithographe, au passage, devra concevoir son dessin "en miroir" car c'est son image inversée qui sera imprimée. J'ai personnellement fait un certain nombre de lithos de vues de Paris, comme la célèbre place Furstemberg. J'ai du, après avoir réalisé sur place un dessin au crayon, conventionnel, recopier celui-ci en observant le reflet de ma pière dans un miroir. On s'y habitue (comme pour toutes les gravures, comme la gravure sur cuivre, que j'ai également pratiquée). Quand le dessin est consigné sur la pierre, comment graver celle-ci ? De la manière la plus simple du monde : avec de l'acide acétique. On passe cet acide sur la pierre et on laisse agir. On obtient alors une chimio-abrasion.
Le produit chimique attaque en priorité les reliefs de la pierre. Là où il peut agir il va produire une surface lisse, qui n'accrochera plus l'encre. Là où la pierre aura été recouverte d'une "tartine" de crayon lithographique le grain sera intact. Celle partie, encrée, donnera un noir profond. Entre les deux : toutes les nuances possibles. Ce qui est extraordinaire c'est que l'attaque par l'acide suite très fidèlement la nuance de gris recherchée. Quand l'acide a joué son rôle "au bout d'un certain temps", on lave la pierre et on enlève alors toute trace de quoi que ce soit avec un dissolvant. Le dessin disparaît alors totalement. Pour l'artiste néophyte, c'est un choc, car il se demande où est passée son oeuvre. Pourtant, la pierre est alors prête à l'emploi. Un coup d'éponge mouillée, puis quelques coups de rouleau encreur et revoici ce dessin, matérialisé alors avec un dépôt d'encre. Retour aux opérations précédentes. Le feutre et la plasticité du papier humecté assurent un contact étroit entre celui-ci et la pierre. Celui-ci se comporte alors comme une éponge et après chaque passage toute l'encre qui avait été déposée sur la pierre a été pratiquement transférée dans les fibres du papier. Il ne subsiste sur celle-ci qu'un tracé assez pâle.
Les passages usent la pierre (comme c'est aussi le cas pour la gravuire sur cuivre). On ne pourra donc procéder qu'à des "tirages limités". Le petit nombre d'exemplaires est aussi un garant le la valeur de cette "lithographie originale" que l'auteur signe au crayon, en faisant mention du numéro de l'épreuve et du nombre total d'épreuves tirées, comme ceci :
Ma première lithographie : l'atelier du peintre Balthus, dans le quartier Latin.
S'il est possible de réutiliser des cuivres, c'est beaucoup plus rares pour les pierres, fort encombrantes et lourdes. On ne peut pas réutiliser une plaque de cuivre qui a été utilisée par la gravure par contre il suffit de passer une pierre lithographique au polissage pour qu'elle soit prête à être réutilisée de nouveau. La litho, de même que la gravure sur métal, ont été utilisées pour l'illustrations d'ouvrages. On peut, pour des pierres graînées très finement, utiliser cette fois de l'encre lithographique, apposée à l'aide de simples porte-plumes. Au dix-neuvième siècle, beaucoup de documents officiels furent ainsi créés non seulement en utilisant la gravure sur cuivre, mais aussi la litho.
Paris : la place Furstemberg
Cette litho me rappelle une
anecdote amusante. Au début des années soixante, après un retour
mouvementé de l'université de Princeton, USA, où je n'avais pas eu
envie de rester (mais ceci est une autre histoire) je me suis
retrouvé professeur remplaçant dans une classe préparatoire à
l'Ecole Bréguet, en maths (niveau maths sup). A l'époque je devais
avoir quelque chose comme 23 ou 24 ans et, même avec un costume
trois-pièces acheté à la hâte, j'avais l'air souvent plus jeune
que la plupart de mes étudiants, ce qui m'avait fait dire par un
pion dans les premiers jours de ma prise de fonction :
"mettez-vous en rang avec vos cmarades !".
L'autorité, finalement, est surtout une
question de look (et, bien sûr, de compétence). Comme je n'avais
pas quand même un physique de freluquet j'ai pu tenir mes
étudiants en respect pendant ces six mois, simplement en parlant
d'un ton posé et en affichant un visage impénétrable. A cette
époque, je menais alors une double vie. Entre mes heures de cours,
je continuais de dessiner dans les rues et ma mise vestimentaire
était alors totalement différente. Un jour j'étais installé place
Furstemberg, assis par terre, T-shirt et Jeans, cigarillo au bec,
en train de composer le dessin qui servir de modèle pour la litho
ci-dessus. Arrivent deux de mes élèves, qui ouvrent des yeux
stupéfaits. J'ai eu la présence d'esprit de ne pas broncher.
Finalement l'un d'eux, s'enhardissant, s'approche :
- Monsieur... excusez-nous de vous déranger mais vous ressemblez à un de nos profs. C'est à s'y méprendre.
- Ah, vous voulez parler de mon frère jumeau, le chouchou de maman, celui qui fait des maths !
Ca a pris. Le lendemain, en cours, ces deux là me scrutaient, trouvant décisément la ressemblance hallucinante. Peut-être qu'en lisant ces lignes, 40 ans plus tard, ils découvriront que l'artiste des rues qu'ils avaient rencontré place Furstemberg et leur professeur en mathématiques supérieures n'étaient qu'une seule et même personne.
Il y a des tas d'endroits à partir desquels j'ai pu faire des gravures dans les années soixante et qui ont soit totalement disparu, soit ont subi de profondes transformation. Ci-après, une vue du Pont des Arts, avec en arrière-plan l'île de la Cité et la Conciergerie. L'escalier sur la gauche et la cabane ont disparu, laissant place à une voie sur berge.
Paris : le Pont des Arts en 1961
Dans mon grenier, j'ai retrouvé cette litho de la célèbre Cour de Rohan, sise à Paris, près du Boulevard Saint Germain.
Paris, la Cour de Rohan
Ce dessin a une histoire, lui aussi. Dans
ces années soixante la majorité des bâtiments de la Cour de Rohan
était la propriété d'un homme qui avait un nom à consonance
bretonne. Il possédait en particulier cette superbe facade et les
fenêtres visibles au centre étaient celles de sa propre chambre.
La Cour de Rohan constitue en fait un passage, dont chaque vue est
absolument superbe. Au delà de cette facade se trouvait donc une
autre cour, sur laquelle donnait la porte d'un atélier de
photographie. Bien que la Cour de Rohan ait été dans son ensemble
une résidence privée, le public pouvait emprunter ce passage
pendant la journée. Mais le bonhomme, un paranoïaque bon teint,
avait apposé sur la porte de fer de son atelier de photo "toute
reproduction phographique interdite". Il était d'assez grande
taille et n'hésitait pas, si par malheur il voyait un touriste
sortir son appareil, sortir de son atelier, le lui arracher des
mains et en extraire la pellicule. Je l'ai vu maintes fois agit
ainsi. Quand je me suis mis à croquer cette cour de Rohan sous
toutes ses coutures il a pris la chose assez mal. A l'époque,
j'exposai mes oeuvres dans une petite galerie située juste à
l'entrée de cette cour. Quelle ne fut pas ma surprise de voir un
jour un huissier de justice me remettre en mains propres une
lettre me rappelant que, contrairement à ce qui était affiché à
l'entrée de la Cour j'avais reproduit celle-ci et que, etc...
etc....
Il s'en suivit alors une guerre assez
amusante. J'ai fait le dessin ci-dessus en étant assis sur la
marche de l'entrée d'une école du coin. Quand j'étais en plein
travail, le gars se précipita vers moi en me disant "que je
n'avais pas le droit de stationner dans la cour où le public
n'avait qu'un droit de passage" et que je devais donc "passer mon
chemin". Sur ce, la directrice de l'école ouvrit sa porte et lui
expliqua que, stationnant sur la marche d'entrée de l'école, je
n'étais plus, juridiquement parlant, dans la Cour de Rohan même,
mais dans le domaine de l'école maternelle. Un quart d'heure
après, l'huissier avec son imperméable mastic, vint de nouveau
constater que ... etc..... nouveau papier timbré amené en mains
propres à la galerie. On pédalait dans le grotesque. Comme ce type
emmerdait tout les gens du quartier ceux-ci m'invièrent à dessiner
de tous les points d'observation possibles, fenêtres, terrasses,
toitures. L'autre me découvrit un jour, en ouvrant la fenêtre de
sa chambre à coucher, assis sur la toiture d'en face avec un
superbe chevalet, en train de peindre sa fichue Cour de
Rohan. Le gag le plus joli se réfère au point d'observation
correspondant au dessin ci-dessus (la marche d'escalier de
l'école). L'huissier arrive et, en bon professionnel, se
positionne pour constater ce que je suis en train de dessiner,
avec la plus grande application. Et là, il s'étrangle de rire,
imaginant le constat qu'il allait devoir rédiger : j'étais en
train de dessiner la place Furstemberg, de mémoire....