Il
sentit un liquide s’écouler le long de son bras droit. Il ne
souffrait pas. Au
dessus de lui il voyait briller une lampe qui éclairait la pièce
d’une lumière
jaunâtre. Il essayait de trier parmi ses souvenirs. Il y avait
Munich, la
salle, son long exposé, les longs applaudissements de
l’assistance, unanime. Et
puis le retour avec l’avion présidentiel. Après, un vide
complet. Que
s’était-il passé ? Il se souvenait qu’il s’était aussitôt
endormi, juste après
le décollage. Est-ce que l’avion avait été détourné. Y avait-il
eu un
crash ?
Oui, c’était ça. L’avion avait du se
crasher, et il avait été blessé. Peut être un missile, tiré par
des
extrémistes. Il avait survécu, c’était l’essentiel. Mais
où se trouvait-il?
Il m’en avait pas la moindre idée. Est-ce que d’autres passagers
de l’avion
présidentiel s’en étaient tirés?
Il
essaya de se relever pour essayer de
mieux voir. Mais une douleur fulgurante traversa son épaule et
son bras droit,
et il s’affala aussitôt sur sa couche. Il attendit de longues
minutes que la douleur
se calme puis, avec son bras gauche, entreprit d’explorer la
partie droite de
son corps. Il découvrit des lambeaux de sa chemise, humides. Du
sang, sans
doute. En haut du bras il y avait un garrot. C’est sûr, c’était
un garrot, un
accessoire de chirurgie, avec une partie métallique, froide, une
clé servant à
serrer. Sa main descendit plus bas. Il découvrit un os, qui
faisait saillie
hors de la plaie, sur presque dix centimètres.
Il
ne voulut pas pousser plus loin
l’exploration, de peur de ce qu’il pourrait découvrir. De toute
façon il ne
sentait plus sa main droite. Il ne parvenait pas à la bouger. Il
se dit que
c’était peut-être l’effet du garrot qui produisait à la fois
l’insensibilité et
la privation du contrôle des muscles.
Quelqu’un entra. Il entendit des propos
échangés, dans une langue incompréhensible. Mais visiblement il
s’agissait d’une
langue d’un pays de l’Est. Avant de se crasher, l’avion avait du
être détourné,
au retour de Munich. Mais où ?
Un visage se pencha vers lui.
-
Je parle un peu français, mais très
peu.
-
Do you speak english ?
-
Non … non …pas english … seulement un
tout petit
peu français.
-
Où est-ce qu’on est ?
-
On va faire chirurgie sur vous. Le bras
…
-
Oui, le bras, et alors ?
-
Votre bras, pas bon. On va couper.
-
Couper ? Vous allez
m’amputer !?
-
Oui. Trop cassé. Engin explosif, vous
comprenez ? Beaucoup dégâts. Beaucoup éclats. La main droite,
très cassée. Mais la
main gauche, bonne ! …
-
Comment ? L’avion s’est
crashé ? Il y
a des survivants ? Et les autres ?
-
Moi, pas comprendre. Pas avion !
C’est ... la
guerre ...
-
La guerre !
-
Je vais chercher morphine. Vous pas
souffrir. Ca
ira, ça ira.
Le visage de l’homme disparut. Il chercha
à accrocher son regard sur quelque chose. Au prix d’un effort
surhumain, en
s’accrochant au
montant de ce qui
semblait être un lit de camp il
parvint
à basculer un peu sur le côté gauche. La pièce était dans le
plus grand
désordre. Il y avait une arme, posée sur une table, une arme
automatique, à
côte de laquelle on voyait plusieurs chargeurs. Et de nombreux
verres, avec une
bouteille, à moitié vide. De l’alcool, sans doute. Au mur une
carte avec des
lieux marqués par de punaises, une carte du front. Bon sang, où
avait-il
atterri ? Sur le front ukrainien ? Mais si c’était le
cas, de quel
côté était-il ? Du côté ukrainien, ou du côté russe ?
Il
y avait des choses écrites, sur la
carte. Mais, il le savait bien, les ukrainiens utilisent le même
alphabet
cyrillique que les russes. Epuisé par cet effort il s’affala de
nouveau sur le
lit. Il ferma les yeux et entendit soudain une voix
féminine :
-
Monsieur le Président … Monsieur le
Président …
je suis désolé de vous réveiller, mais on va bientôt atterrir à
Roissy. Je dois
vous demander d’attacher votre ceinture.
Les guerres se suivent et se ressemblent.
Elles ont la froideur du métal des bombes.
Elles ont la couleur terne et grise de l'argent
convoité.
Elles éteignent les flammèches de la vérité et
raniment les braises de la haine.
Elles étouffent, asphyxient, enterrent toutes joie
possible, à partage ensemble.
Quel que soit celui qui tombe, ce sera un être humain.